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"Je débute ce livre le 13 janvier 1964 - vingt-troisième anniversaire de la mort de James Joyce. Je ne peux songer à aucun autre écrivain qui m'ensorcellerait au point de faire du commencement d'une charge maudite de dur labeur une sorte de rituel joyeux, mais la célébration des dates qui venait naturellement à Joyce déteint sur ses admirateurs. En vérité, Joyce illumine en quelque sorte de sa présence cette saison morte entre toutes (on a brûlé les décorations il y a une semaine, les enfants sont retournés à l'école, la neige est venue trop tard pour être festive). Cette saison commence le dimanche de l'Avent et s'achève à la Chandeleur. Le 6 janvier, on célèbre l'Epiphanie, et la découverte des épiphanies - « révéla-
tions » - de beauté et de vérité dans le sordide et le trivial était la vocation de Joyce. Le 1er février, c'est la Sainte Bridget. Le 2 février, c'est l'anniversaire de Joyce, qui reçut à cette date deux cadeaux de taille sous la forme des premiers exemplaires imprimés d'Ulysse et de Finnegans Wake. C'est aussi la Chandeleur et, dans les pays anglo-saxons, le Jour de la Marmotte. C'est être très joycien que de tempérer la solennité des fêtes religieuses en accordant une pensée aux marmottes d'Amérique. Négligée dans le feu des emplettes de Noël, Sainte Lucy, Santa Lucia, a été célébrée le 13 décembre. Pour Joyce, qui a lutté toute sa vie contre la cécité, elle avait une signification toute spéciale, étant la sainte patronne de la vue, et c'est en son honneur qu'il baptisa sa fille Lucia. Toute cette saison évoque la lumière qui sort des ténèbres, et ce n'est que justice de se réjouir (- rejoice - Joyce était très conscient de l'étymologie de son nom) de la victoire de la lumière. Nous devons même nous réjouir de la mort du premier martyr chrétien le lendemain de Noël, ce qui nous rappelle pourquoi Joyce prit le nom de Stephen dans ses romans autobiographiques. Il était aussi un martyr, voué lui à la littérature ; un témoin de la lumière, qui s'était condamné à l'exil, à la pauvreté, à la souffrance, à la calomnie, et (peut-être pire que tout) à la canonisation de son vivant par une coterie, de façon à ce que la doctrine du Verbe soit répandue. Un martyr plein d'humour, toutefois, plein de boisson et d'ironie. Des pierres que lui avait jetées la vie, il fit un labyrinthe, qui valut à Stephen le nom de Dedalus. Ce labyrinthe ne renferme pas de monstre, cependant. C'est un foyer de lumière, dont les couloirs résonnent de vie et de chants.
En janvier 1941, lorsque la nouvelle de la mort de Joyce filtra de Zurich, le monde était distrait par d'autres préoccupations, d'autres morts. Rares furent parmi ses admirateurs ceux qui purent prendre le temps d'une veillée en sa mémoire. Alors simple soldat dans un Northumberland enseveli sous la neige, j'appris la nouvelle en frottant les carreaux du mess des officiers à l'aide d'un exemplaire vieux d'une semaine du Daily Mail. Elle figurait en première page, éclipsée, comme il se doit, par les bombardements de Plymouth.
- Grands dieux, James Joyce est mort.
- Qui diable ? demanda un sergent.
- Un écrivain irlandais. L'auteur d'Ulysse.
- Ah. C'est un livre cochon. Au boulot."
Burgess a souhaité dans ce livre totalement inédit en France rendre l'univers de Joyce accessible à tous. Il analyse son univers avec sa magnifique plume d'écrivain, et le résultat est bel et bien un texte d'écrivain, sur un autre écrivain. Une rencontre. Le livre se divise en trois grandes parties: Les Pierres, Le Labyrinthe et La Montagne, avec une multitude de chapitres vivants qui traitent de la religion, la mythologie d'Ulysse, le rapport à La Divine Comédie et Hamlet, la complexité des rapports entre les hommes, le langage, Babel, Dublin comme labyrinthe, etc. C'est la patte de Burgess qui rend son étude captivante et qui apporte quelque chose par rapport aux textes qui existent déjà.
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