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Les revues sont nombreuses à naître à la Libération. Toutes n'eurent pas la même importance que Critique et rares sont celles à lui avoir survécu longtemps (a fortiori jusqu'à aujourd'hui).
C'est l'une des raisons pour lesquelles la correspondance échangée par Georges Bataille, son fondateur et directeur, et Éric Weil, que Bataille associera - de fait - à la direction des premières années de la revue, est si intéressante. On y lira certes les considérables difficultés éditoriales qu'elle a rencontrées d'abord : deux éditeurs en quatre années avant de trouver avec les Éditions de Minuit, en 1950, celui qui lui sera dorénavant fidèle. Mais là n'est pas l'essentiel. L'essentiel tient dans l'échange profond, souvent tendu, de deux intellectuels que presque tout oppose (dans une époque où les oppositions ne manquaient pas), excepté leur commune volonté d'oeuvrer à la réussite d'une revue « savante » (différente en cela des revues que Bataille a animées avant la guerre - Documents, Acéphale), de recension (« représentant l'essentiel de la pensée humaine prise dans les meilleurs livres », français ou étrangers, ainsi que Bataille l'annonçait dès son premier projet), ce qui suffit à la distinguer d'entrée de jeu des revues d'opinion, qui connurent de fait le succès immédiat - attendu - que l'époque était prête à leur faire (Les Temps modernes, pour ne citer que la plus illustre des revues de laquelle Critique cherchait le plus à se différencier). Cette volonté délibérément bibliographique (il faut le redire : c'est d'une revue de recension qu'il s'agit) n'en devra pas moins compter avec les passions politiques : délicat, sinon impossible équilibre à trouver entre les marxistes et les non marxistes, les communistes et les gaullistes, l'existentialisme et le surréalisme, les grandes oeuvres canoniques, et les travaux qu'elles suscitent comme naturellement, et les petites oeuvres hérétiques (Weil s'impatientant de l'intérêt récurrent Bataille montre pour Sade), petites oeuvres que Bataille semble pourtant résolu de valoriser à l'égale des premières, entre les collaborateurs dont la « scientificité » n'est pas douteuse (les spécialistes) et les « intellectuels », pour la plupart amis de Bataille, revenant avec lui d'un entre-deux-guerres commun et passionné, etc.
Qu'on le mesure : du n° 1 au n°3-4, signèrent - que Critique seul sut rassembler alors - Bataille et Weil eux-mêmes bien sûr, mais aussi, Georges Ambrosino, Georges Balandier, Maurice Blanchot (membre du Comité de rédaction dès le premier numéro), Théodore Fraenkel, Alexandre Kojève, Alexandre Koyré, Aimé Patri, etc. On se le représente sans peine : l'écart est parfois considérable, les livres recensés couvrent un champ étonnamment étendu qu'on ne voit pas d'autres revues réunir, les tons sont divers, sinon divergents.
De tout cela, la correspondance échangée par Bataille et Weil se ressent profondément. Il s'y joue quelque chose de l'époque entière réduite pour l'occasion à deux seuls hommes.
À en-tête de Critique, correspondance de Georges Bataille et Éric Weil, reproduit l'intégralité de l'échange des lettres écrites par l'un et l'autre des deux hommes tout le temps que ceux-ci ont travaillé ensemble à l'animation de la revue Critique. Soit 32 lettres de Weil à Bataille et 31 lettres de Bataille à Weil. À quoi l'éditrice à ajouté 23 lettres de Bataille à différents destinataires concernés par le projet (Maurice Nadeau, Pierre Prévost, Jean Piel, Charles Meyer, etc.) ; et 20 autres lettres « croisant » les précédentes.
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