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L’autrice allemande Ulla Lenze est une philosophe et musicologue allemande. « Les trois vies de Joseph Klein » est son cinquième roman mais le premier à être traduite en français ; Dans un avertissement au lecteur, elle précise qu’elle s’est inspirée de la vie de son grand -oncle et d’une correspondance retrouvée pour élaborer son récit.
Ce dernier commence et s’achève en 1953 à San José, Costa Rica mais se déroule pour la plus grande partie à Neuss en Allemagne de l’Ouest en 1949 (10 chapitres) et à New-York en 1939-40 (19 chapitres) avec un flash-back en 1925 et une prolepse en 1946. On a un va et vient perpétuel entre les lieux et els poques mais on s’y retrouve aisément car chacun des 36 chapitres qui composent le roman a pour titre le lieu et l’époque où il se déroule.
On y suit donc sur trois continents la vie ou plutôt les vies de celui qui s’appelle successivement Josef, Joe puis Don José. On apprend comment il arriva en 1925 sur le continent américain porteur de rêves et fut embauché dans une imprimerie. Il n’aime guère son travail et n’a guère d’amis à part le chien errant princesse qu’il a recueilli. Ce qui le passionne c’est le jazz et la radio amateure qu’il a installée sur la terrasse de son appartement : elle lui permet d’échanger avec des correspondants situés à tous les points du globe. So auteur favori est Thoreau et il semble qu’il ait bâti à sa façon sa propre cabane dans les bois sur les toits. Grâce à sa radio, il rencontrera pourtant Lauren une jeune américaine qu’il aimera … mais cette machine causera également sa perte…
Le héros est loin d’en être un, il ne vit pas sa vie mais est vécu par elle. Son seul moteur est la peur C’est ce qui explique sans doute que je ne me sois guère attachée à lui ; en revanche j’ai bien aimé le portrait tout en nuances de Lauren. Je n’ai pas non plus tellement apprécié l’arrivée du héros sur le continent américain : c’est une histoire rebattue dans bien des romans ou des albums (tel le tout récent « Ellis Island »). En revanche, j’ai beaucoup aimé découvrir des aspects des Etats-Unis que je connaissais moins et qu’on a tendance à gommer en particulier la montée des extrémismes et la présence d’un parti d’extrême droite américain inféodé au nazisme ainsi que l’internement des « ennemis » sur Ellis Island durant la seconde guerre mondiale. La vie difficile dans l’Allemagne d’après-guerre est aussi très bien décrite.
Il me reste donc une impression mitigée à l’issue de ma lecture : un substrat historique documenté, une structure narrative originale mais un peu vaine (les allers-retours ne sont jamais justifiés et paraissent in fine arbitraires et même lassants), une histoire qui aurait gagnée à être davantage ramassée, et un héros plutôt antipathique qu’on aurait aimé voir plus incarné. Il me reste un sentiment d’inabouti… Je remercie Babelio pour cet envoi dans le cadre d’une Masse Critique.
La seconde guerre mondiale, la drôle de guerre, la Grande Guerre Patriotique. Il me semble que c'est l'un de ces sujets inépuisables en Littérature, un Sisyphe qui roulera son rocher éternellement, il y aura toujours des choses à écrire, et à lire, tant qu'il y en aura à dire. Ulla Lenz, l'auteure, a choisi d'inscrire sa fiction selon une perspective allemande. Et d'outre-Atlantique, du haut de ses interminables tours new-yorkaises. À partir du regard de Josef Klein, exilé allemand dans le nouveau monde, à peine visible, qui ne fait que l'observer, de très loin, ce monde. du conflit mondial nous n'aurons que de très distants échos, au gré des quelques bruits finissent bien malgré tout par arriver aux oreilles de Josef, qui ne s'embarrasse pas du moindre remord : il est aussi loin que l'on puise l'être du conflit, tant sur la distance que sur son engagement. Josef n'est pas un homme que l'on remarque, c'est peut-être bien ce qui va lui permettre de traverser ses trois vies sur la pointe des pieds.
Ce bien curieux personnage, insaisissable et hors du temps, constamment tenaillé par une ambivalence existentielle, jalonne ce récit à trois temps et a provoqué chez moi pas mal d'interrogations, c'est un individu au prime abord sans grande consistance qui a fui son pays dès qu'il a pu pour rejoindre celui de l'oncle Sam, exilé parmi d'autres. On touche là un point de l'histoire, dont on a peu eu conscience, et concerne ces quelques Allemands qui sont allés s'installer par delà l'Atlantique, là où il est réputé plus facile qu'ailleurs de se bâtir une situation, sinon de faire fortune, ce pays de toutes les libertés. Josef est un drôle de petit homme solitaire, qui aime les échecs, et tâte de la radio, qui va se faire embrigader dans les réseaux clandestins allemands à défaut d'intégrer la Wehrmacht. C'est avec grand intérêt que l'on apprend ainsi, à travers ce roman, que les réseaux nazis sont arrivés jusqu'aux Etats-Unis. Il est vrai que l'histoire a principalement retenu les méfaits de la dictature sur le vieux continent, à raison. Il n'en reste pas moins très instructif, au moins qu'aussi intéressant, de constater comment l'auteure allemande reconstitue la montée du nazisme à travers le témoignage de cette grande démocratie.
Entre patriotisme et fidélité au pays originel, la frontière est poreuse pour ce Josef américanisé en Joe, lequel se trahit par son accent germanique, et considéré d'un oeil torve par ces Américains, qui ont le recul nécessaire pour prendre conscience de l'ampleur du danger qui guette l'Europe. La montée du nazisme est ainsi mal vécue aux Etats-Unis, même s'il se trouve certains irréductibles indéboulonnables de la race blanche, Ulla Lenz parvient à rendre ce frisson d'horreur qui parcourt l'échine de la population américaine pressentant mieux que tous les autres la menace allemande qui s'alourdit de jour en jour. Est-ce qu'être allemand revenait à être nazi, c'est un peu l'enjeu de ce récit qui s'appuie sur la figure centrale de cet européen, totalement épris de la vie américaine, dont l'incapacité à prendre position et à se distancer de sa nationalité, va l'amener tout droit à être mêlé dans des plans qui le dépassent. En conférant à cet homme aussi peu de caractère, l'auteure illustre d'une certaine façon l'inertie qui s'est emparée des Allemands ou autres à la merci d'une force bien plus grande qu'eux. le rôle d'agent secret, si tant est qu'on puisse lui appliquer ce qualificatif, est un costume taillé bien trop grand pour Joe Klein, qui comme les chats sait rebondir pour s'en aller vivre ses autres vies.
L'Allemagne n'est pas sa vie, il n'y a rien construit, tout juste un transit pour cet homme qui a toujours vécu entre deux vies, aux Etats-Unis, entre américains et allemands exilés, à Ellis Island, en Allemagne chez son frère, en toute clandestinité. Un Allemand, un nazi, un exilé, un clandestin, encore plus un apatride, c'est un home perdu, qui navigue d'un océan à l'autre, mais fatalement rattaché par sa nationalité allemande, Josef devient José en Amérique du Sud. En Argentine, là où Perón a fait un pont d'or aux nazis allemands, c'est peut-être une réponse qu'il trouvera loin de son pays.
C'est un premier roman qui a reçu quelques prix en Allemagne, qui chatouille encore le souvenir lancinant de l'Allemagne nazie à travers un personnage, qui a priori n'avait rien à y voir, si ce n'est sa nationalité, qui plus qu'une conviction personnelle profonde, a provoqué une condamnation presque immédiate du pays qui l'a accueilli. Une malédiction qui, à force de garder obstinément la tête dans le sable, finit par lui nuire, un homme ordinaire qui a tout sauf l'étoffe d'un héros perdu dans des mondes qui ne seront peut-être jamais les siens. C'est une anguille qui se faufile entre les rochers, entre les rochers, un fuyard qui déserte dès que le vent tourne, qui n'a même pas pour lui ses convictions, puisqu'il ne sert rien d'autre que ses propres intérêts. C'est un homme lâche très certainement, détaché de toute apologie. Est-ce que ce désengagement du monde caractérisé par cette lâcheté apparente fait de lui un être condamnable ? du fond de mon confort, c'est une question que je serais mal avisée de répondre par une réponse affirmative nette et concise. C'est un roman qui remet sur le devant de la scène cette question qui n'a aucune réponse de savoir ce qu'à titre personnel, citoyen allemand ou français à cette époque, de quelle façon on aurait agit.
La vie de Josef Klein est hachée, divisée, clivée comme l'individu l'est lui-même, aspiré par cette soif de liberté ultime que lui a offert les Etats-Unis, sa nationalité, qui même reste le seul lien à sa famille, il porte comme un fardeau, et son incapacité à affronter le monde, et somme toute, ce récit est fidèle à son image.
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