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Des jeunes âgés de seize ans arrêtés en pleine nuit, en montagne, par grand froid par des gendarmes qui refusent de leur donner le moindre biscuit, voilà comment débute Les Enfants de la Clarée, un document essentiel pour comprendre un phénomène qui relie l’Afrique et l’Asie à nos contrées européennes.
Cela se passe le samedi 11 Novembre 2017, à Névache (Hautes-Alpes). Raphaël Krafft, grand reporter et écrivain, a accompagné un habitant du village qui essaie de porter secours à ceux qui tentent de passer la frontière franco-italienne afin qu’ils ne meurent pas de faim ou de froid ou encore ne soient pas amputés ensuite d’un membre gelé comme cela est déjà arrivé. Hélas, les gendarmes les ont interceptés avec Salif, Antoine, Thierno et Mamadou, trois Guinéens et un Sénégalais qui ont traversé les pires épreuves pour tenter de venir vivre dignement dans notre pays. Ce sont ces gendarmes, couverts par les autorités qui, au mépris des lois concernant les mineurs, les ramènent de l’autre côté de la frontière, à Bardonecchia, les laissant livrés à eux-mêmes tout en sachant bien qu’ils recommenceront, qu’ils réessaieront.
La vallée de la Clarée, Émilie Carles (1900-1979) l’a formidablement popularisée avec Une soupe aux herbes sauvages, livre paru en 1977. Quand j’ai lu ce livre, j’ai eu aussitôt envie de découvrir Val-des-Prés et en famille, nous nous sommes recueillis sur sa tombe dans le petit cimetière communal, près du bâtiment où, avec Jean, son mari, ils avaient monté une auberge. Ensuite, nous avons découvert la vallée, la haute-vallée, hiver comme été. Le col de l’Échelle, lieu de passage des migrants, nous l’avons escaladé souvent à ski de fond et même à vélo en descendant sur Bardonecchia, exactement les lieux décrits par Raphaël Krafft. C’était avant que ces lieux deviennent une voie de passage pour ceux qui fuient la misère de leur pays. Raphaël Krafft fait bien de rendre hommage à Émilie Carles car cette courageuse institutrice s’est battue toute sa vie pour la liberté et la paix.
Travaillant pour France Culture, Raphaël Krafft enregistre et pour cela écoute, recueille des témoignages, enquête. Il écrit aussi et m’a fait partager au plus près l’action remarquable de ces habitants de Névache et de Briançon qui viennent en aide à leurs semblables. De plus, il a eu la bonne idée de rencontrer Sandrine et Alice, institutrices à Névache. Elles ont éveillé la curiosité de leurs élèves pour ce pays dont viennent 50 % des exilés (30 % de mineurs) : la Guinée.
En effet, l’année suivante, en 2018, Raphaël Krafft est allé à la source, en Guinée-Conakry et toute la seconde partie du livre permet de découvrir les conditions de vie, là-bas, et la biodiversité comme le lui ont demandé les élèves, allant même au contact des éléphants de forêt, espèce en voie de disparition. C’est très instructif, bien expliqué et très varié.
Bien sûr, Raphaël Krafft s’est intéressé aux conditions de départ des jeunes Guinéens dans un pays sans réseau d’électricité, sans service public de ramassage des ordures. Il a assisté à la campagne de sensibilisation aux dangers du voyage, campagnes menées par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Le pire, c’est la honte de ceux qui ont échoué et n’osent même pas revenir dans leur famille, leur quartier. L’Union européenne finance ces campagnes qui se révèlent inefficaces. L’argent serait mieux employé à porter assistance aux exilés qui mettent leur vie en danger, se font battre, torturer, racketter en Lybie puis qui risquent de se noyer en Méditerranée.
Dans la troisième partie, l’auteur raconte en détails l’arrestation présentée au début. Il n’oublie pas de rendre hommage à Bernard Liger, décédé en août 2018. C’est lui, officier à la retraite, qui fédérait les énergies pour porter secours aux personnes passant par le col de l’Échelle.
Raphaël Krafft précise : « L’accord de Chambéry conclu entre l’Italie et la France permet, dans le cadre des accords de Schengen et dans un rayon de 20 km, d’arrêter et de renvoyer quiconque serait entré illégalement en France… Prendre un autostoppeur noir à Névache peut faire de vous un passeur aux yeux de la loi. »
Dans Les Enfants de la Clarée que Simon a eu la bonne idée de m’offrir, j’ai vécu à nouveau dans cette vallée alpine mais cette fois-ci au cœur d’un drame humain qui n’a pas dû cesser en temps de pandémie car, en octobre 2020, on dénombrait plus de dix mille personnes migrantes passées par les cols de l’Échelle et de Montgenèvre. J’ai peur que, depuis, même s’ils sont moins nombreux à tenter de franchir la frontière, le drame des exilés soit toujours une réalité.
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
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