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" La fille s'était arrêtée, elle penchait la tête et l'obscurité qui lui couvrait le visage ne laissait plus voir que ses yeux, deux insectes dorés traversant des débris d'ardoise charbonneuse et de tôles abîmées, une bâche luisante et souillée".
Très beau roman fracassant et incandescent au style implacable et brillant.
Un vrai coup de cœur pour auteure américaine.
Voilà typiquement ce qui peut arriver lorsque vous participez en tant que jurée à un prix de lecteurs : vous recevez un livre sur lequel vous ne vous seriez pas précipitée, vous jetez un œil sceptique à la quatrième de couverture - "western électrique", "cartels de drogue sanguinaires"... hum... -, vous grimacez ; mais vous vous êtes engagée alors. Alors, vous lisez. Au début vous vous forcez un peu mais vous vous trouvez prise par... un je ne sais quoi, une atmosphère, une tension, un rythme. Vous vous surprenez à avoir envie d'avancer. Vous êtes intriguée, et puis intéressée, et puis sacrément épatée. Et voilà. Vous venez de lire un truc qui n'est pas du tout votre tasse de thé - il est d'ailleurs peu probable que vous cherchiez à réitérer l'expérience - et de trouver ça sacrément bien balancé.
Tout commence par une scène terriblement cinématographique, dans la nuit noire. Le calme et l'isolement dans lesquels vivent Wyatt et sa sœur Lucy sont brutalement troublés par l'intrusion d'une jeune femme armée jusqu'aux dents qui abat sans broncher le troupeau du ranch familial. Qui est-elle ? Que cherche-t-elle ? Fou de douleur et de rage, Wyatt se lance à sa poursuite dans le but de récupérer les quelques milliers de dollars que lui auraient rapporté la vente des bêtes et dont dépendent leur survie. Le début d'une course poursuite sanglante et pleine de surprises dans des zones arides et désertes de l'Utah, des paysages à couper le souffle.
Le moins que l’on puisse dire c’est que Rae DelBianco sait installer une ambiance, planter un décor. On sent la poussière, la chaleur, la rudesse du désert. Façon western revisité par un Tarentino en grande forme, rapport à la dose d’hémoglobine. La violence est ultra-présente et pourtant, jamais gratuite. Derrière elle affleure un portrait de l’Amérique sauvage, loin des grandes villes policées (quoi que…) où règne encore la loi du plus fort sous l’influence de cartels et autres hors la loi. Ici, on cherche à survivre et pour cela, on n’hésite pas à donner la mort. De cette épopée sauvage émergent deux figures, l’une féminine, dont on ne connaîtra pas le nom, rompue aux rapports de force et passée maîtresse dans l’art de tuer. L’autre, Wyatt, plongé malgré lui dans un engrenage de violence qui va l’obliger à piocher au fond de lui des ressources insoupçonnées. Au centre, la question de la légitimité à tuer. A l’horizon, le point de bascule. L’instant qui vous empêche définitivement de revenir en arrière. Si le roman démarre lentement, le crescendo attache irrémédiablement le lecteur aux pas de Wyatt qui porte en lui le questionnement universel de l’homme qui ferraille pour ne pas perdre sa part d’humanité.
Rae DelBianco est une toute jeune femme au visage d'ange, A sang perdu est son premier roman et tout ceci est très très impressionnant dans sa façon de mêler classique et modernité pour nous parler de l'Amérique. Puissant.
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
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