Loin du monde, sur un plateau karstique qui ne laisse pas de traces, une femme a choisi de s’installer...
Loin du monde, sur un plateau karstique qui ne laisse pas de traces, une femme a choisi de s’installer...
Cheminer avec l'héroïne de ce roman sur les traces de son passé est une aventure violente et bouleversante.
A ses côtés, nous découvrons la beauté de la nature sauvage, la rudesse de la vie solitaire, la poésie de la fuite en avant.
Vivre en ermite dans la forêt, cela semble être le choix de cette femme après une catastrophe et la mort de son mari. Depuis 6 ans, elle survit au prix d'un combat quotidien contre l'environnement. Elle pêche, cultive son jardin et veille à l'intégrité de son territoire. Pour le préserver et assurer sa survie, elle développe des compétences de survivaliste et adopte comme credo : "Toute personne qui approche doit mourir".
Oui mais...son mari n'est pas mort. Et le passé va déterminer tous les présents possibles.
J'ai aimé cheminer à travers ce roman déroutant, sauvage et brut, à l'écriture magnifique
Un roman plein de poésie, vif, condensé, ponctué de rebondissements inattendus. Une femme confrontée à la vie sauvage dans la forêt et qui doit faire face à un événement imprévu, une détonation, venant perturber son fragile équilibre, passant de proie à prédatrice.
Pour survivre dans la forêt, il faut abandonner une part de son humanité. Carapacer ses sentiments, renoncer au monde, devenir sauvage. Le titre de ce roman annonce une femme, mais ce pourrait presque être un animal. “Elle s’est réfugiée dans la nature contre la ville, dans la solitude contre la société, dans l’oubli contre la mémoire.” Elle a choisi les arbres plutôt que les hommes, le vent plutôt que l’amour.
Elle vit dans une grotte au cœur de la forêt du Paradis, recluse et secrète. “Dans les premiers temps, elle parlait à voix haute mais la conversation des arbres et des rochers est limitée. Alors elle s’est tue pour mieux entendre. Le silence a tant de choses à dire.”
Consolider son abri, poser des pièges, écouter, attendre, regarder, se cacher, tuer. Les journées s’écoulent dans la plus brutale des simplicités, rythmées par une routine précise, une discipline précieuse. Jusqu’à ce qu’une détonation, dans le silence frissonnant de la forêt, vienne écorcher son équilibre.
Dans ce livre minéral où règne “une fureur franche, sans cruauté ni morale”, quelque chose d’une sensibilité strictement humaine persiste pourtant. Celle des mots, même les plus élémentaires. Celle de la curiosité, du désir, des cauchemars, des souvenirs.
“Mon histoire est tortueuse comme un sentier de montagne. Elle demande des détours et des efforts pour avancer, les vallées et les pauses devant le panorama valent autant que les cols et les marches forcées.”
Au creux de la roche, protégée par les arbres et menacée par tout le reste, une humanité indécrottable jaillit. Dans la rigueur des exercices de méditation, dans les éclats d’une violence sourde et méchante, dans quelques lignes griffonnées dans un carnet. “La beauté est affaire de regard et de temps.” De mots aussi. Surtout ceux de Pierre Chavagné.
La femme chasseresse s’est construit un refuge, d’où elle domine les alentours, avec la fois proie et prédateur. Son corps et son esprit sont en mode survie, et peu de sentiments viennent animer ses pensées. Les bribes de sa vie antérieure lui reviennent, consignées aussitôt par écrit.
Ce qui l’a amenée à cet isolement, à ce dénuement, le récit le révélera partiellement. Ce n’est pas le plus important. Ce qui ressort de cette histoire, c’est ce que fait la solitude, issue d’une contrainte, sur une femme dont on pressent qu’elle a vécu l’indicible et n’a trouvé de salut que dans la fuite.
La violence est présente en permanence, celle qui est nécessaire pour survivre et parfois celle générée par l’intrusion et la peur qu’elle suscite.
Douloureux voyage intérieur, pour un retour à une vie primitive et sans concession, le roman est une ode à la nature, à la possible harmonie entre l’homme et son décor, mais aussi un triste constat de ce que l’isolement, salutaire pour oublier, risque de de créer sur un esprit fragilisé par les épreuves.
Roman sombre et désespéré, autour d’un personnage que même l’écriture et la lecture n’aura pas pu sauver.
156 pages Le mot et le reste 6 janvier 2023
Sélection Prix orange 2023
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