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Parfois, au détour de sa propre bibliothèque, on croise le regard d'un livre ou d'un visage d'auteur et parmi les piliers de romans qui garnissent les murs, on s'en saisit. C'est à la fois inexplicable au départ et puis force est de constater que souvent le choix est bon quand il est fait au feeling. C'est ce qu'il s'est passé au moment d'ouvrir le roman d'Olivier Mony. Un roman qui fait mouche par son écriture d'abord, où l'on sent la fluidité de mots entrelacés de manière habile. L'écriture d'Olivier Mon est comparable aux ondulations d'un reptile, à la fois imprévisibles et délicates (c'est un phobique des serpents qui vous le dit).
Je vous pose le décor, nous sommes dans les années 60 dans la région bordelaise, Serge Elkoubi est un flambeur au volant de sa Mustang rouge. Mythomane et changeant d'identités, passant par de nombreux vices de l'époque comme la cocaïne, il demeure insaisissable. Son ami avocat et narrateur de l'histoire, nous raconte son la vie de cet homme de manière certes accélérée mais avec une tonalité qui ne laisse pas indifférent. Alors bien sur que les amateurs d'action ne sont pas le public cible, il faudra regarder ailleurs pour être séduit et notamment dans la capacité de l'auteur à écrire entre les lignes. Jamais il ne prendra son lecteur par la main, lui laissant sa part de travail sur la mémoire. C'est peut-être ce qui m'a en premier lieu séduit où l'histoire nébuleuse n'est plus le prisme principal mais bien la manière de la raconter ce qui la rend originale. Souvent, ce narrateur se fend d'ironie ou de moqueries (la bise à Matilda) permettant d'aérer le passé trouble du client. Car c'est à la fois sur les thématiques de la relation entre avocat et client où la conscience y joue un rôle capital mais aussi sur celle de la filiation. À la fois via son enfant mais aussi son père ayant survécu à Auschwitz en étant résistant sans jamais en faire état. Serge Elkoubi, le charmeur, le m'as-tu-vu est peut-être l'antithèse de l'auteur tant ce dernier ne commet aucune digression, ne s'aventure guère dans des descriptions pompeuses qui auraient desservi le roman.
En ayant écrit ce roman, Olivier Mony sème le doute sur la réalité de cet homme tant il apparait plausible qu'il ait existé. Peu importe en réalité, ce qu'en fait Olivier Mony permet d'imaginer sa vie sans réfléchir outre mesure tant ses mots sont évocateurs visuellement. Serge Elkoubi quant à lui, tel un fantôme continue sa route loin de Bordeaux pour éviter d'attirer ceux qu'il a spoliés. Dans un faux-semblant constant, l'auteur entre dans ce personnage avec une immense imagination teintée d'une Histoire réelle en toile de fond.
Avec «Ceux qui n’avaient pas trouvé place», Olivier Mony nous offre un court roman, l'histoire d'un escroc et de son avocat, mais aussi d'une belle amitié.
Leur rencontre date de la fin des années soixante, lorsque la jeunesse dorée bordelaise se retrouvait au Grand Café, établissement aujourd'hui disparu de la rue Montesquieu. Bien que n'appartenant pas au cercle des biens nés, le charme et l'originalité de Serge lui ont bien vite permis d'intégrer la bande de garçons venant ici s'imaginer un avenir. Pour le narrateur et ses amis, il était «tout ce que nous n'étions pas et que l'on rêvait d'être.»
Pour ce petit cercle, la voie semble toute tracée, suivre le chemin des parents. Il en va ainsi du narrateur, engagé comme avocat au sein du cabinet paternel. C’est aussi la raison pour laquelle Serge va se rapprocher de lui. Il a en effet «une affaire qui pouvait l'intéresser». Il s’agit en l’occurrence de le sortir du pétrin dans lequel il patauge. Mission accomplie sans trop de peine. Voici les deux hommes liés, car les trafics peu licites vont se succéder et leur relation va devenir une amitié de plus en plus solide. Il faut dire que le flambeur, joueur, amateur de vitesse, de belles voitures et de jolies filles a tout pour séduire, y compris dans sa manière de braver la justice. Car le tribunal a longtemps suivi Serge plus que son avocat, qui n’avait qu’à approuver les arguments développés par son client. Mais, un beau jour de 1971, le couperet tombe. Les sursis sont révoqués, la peine est lourde: trois ans ferme. Ajoutons qu'à l'époque, les conditions de détention étaient plus difficiles qu'aujourd'hui et la privation de liberté vous coupait vraiment du monde extérieur.
Entre le chapitre d'introduction dans lequel on découvre que Serge est sorti en 1973 pour bonne conduite et que, parmi les garçons de l'établissement scolaire qui passaient devant sa fenêtre se trouvait un fils qu'il ne connaissait pas et le chapitre de conclusion qui lève le voile sur cette énigme, Olivier Mony a construit un roman qui déroule la vie de Serge Elkoubi le Bordelais qui deviendra Serge Dalia après son exil. Car, en sortant de prison, il a compris que désormais sa vie devra se faire loin de Bordeaux. Il ne faut pas tenter le diable.
C'est d'abord en Espagne qu'il tente sa chance, mettant au point un astucieux plan de transfert de devises. Qui finira toutefois par être éventé. Il se lancera alors dans la vente de paréos et colifichets pour touristes aux Baléares, avant de filer vers d'autres cieux et d'autres continents, si bien qu'au moment du bilan, il confessera avoir goûté aux geôles des cinq continents.
C'est bien des années plus tard, à Saint-Barth que le narrateur le retrouvera. Et qu’il tentera de démêler le vrai du faux, entre la légende et les faits, entre les amours et les passions. Bianca Goldstein que Serge a épousé alors qu’il était encore incarcéré, lui apportera une aide précieuse, même si on imagine que sa version peut aussi être remise en question.
Olivier Mony, qui est aussi critique littéraire à Sud-Ouest, a bien compris combien Albert Einstein a eu raison d’affirmer que «l'imagination est plus importante que le savoir». De la même manière que l’on construit un récit national, une Histoire soi-disant officielle, il a construit un hommage aussi sincère que «reconstruit» à la mémoire de son ami. ET c’est ce qui fait toute sa grandeur.
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