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Les "Mémoires d'une fripouille" de George Sanders ont très longtemps fait partie de ma liste de livres à acheter. Mais impossible de me le procurer à l'époque (je parle d'un temps où les sites de vente de livres d'occasion en étaient encore au stade de plaisante utopie) ! C'est dire la joie avec laquelle j'ai reçu "Profession fripouille - Mémoires", nouvelle traduction (2023) de ce Graal littéraire de la part de Masse critique Babelio et des éditions Séguier. Qu'ils en soient ici profondément remerciés !
J'ai d'emblée été séduite par la qualité de l'édition : un livre un peu plus grand que le format poche, une mise en page aérée sur un papier soyeux, des photos pleine page en noir et blanc pour remettre en mémoire quelques scènes de films. Un bel objet-livre d'un raffinement que n'aurait probablement pas renié George Sanders !
George Sanders... vous voyez ? Mais siiiiiiiiiii ! Le méchant cousin de Rebecca dans le film d'Hitchcock, le fourbe séducteur de Mme Muir, le cynique critique théâtral au long fume-cigarette de "All about Eve" (celui qui traînait la jeune Marylin Monroe à son bras !), l'angoissant physicien du "Village des Damnés"... Enfin ! George Sanders, quoi ! Vous vous souvenez forcément de cet acteur russe mais anglais, né à Saint-Pétersbourg de parents écossais dont la silhouette d'une nonchalante élégance cachait des abîmes insondables de malhonnêteté, de vice et de débauche ! J'ai adoré détester ce qu'il représentait dans chaque film. Comment sans jamais surjouer pouvait-il à ce point incarner la perversité ? Si l'on en croit ses écrits, il ne "jouait" pas, mais faisait simplement ce que le réalisateur, les producteurs attendaient de lui. Mais, justement, faut-il le croire ?
Ses "Mémoires" sont à l'image de ses rôles : décousues, joyeuses, mélancoliques, d'une ironie glaciale parfois, d'une élégante cruauté et d'un charisme ébouriffant. Je ne suis pas certaine qu'en 1960, date de parution du livre, l'auteur était prêt à tomber le-s masque-s. Il me semble, en effet, qu'au-delà des anecdotes piquantes, racontées avec un humour ravageur, sur le milieu hollywoodien, Sanders s'arrange pour ne dévoiler que très peu sa véritable personnalité. Lorsqu'il évoque sa vie, lorsqu'il observe ses contemporains, c'est toujours sur un ton suffisamment ironique pour que le lecteur ne sache pas très bien s'il s'agit du premier ou de l'ultime degré. Mais peu importe car ses récits sont toujours savoureux de drôlerie et d'observations vachardes !
Au détour d'un paragraphe ou d'un chapitre, la sensibilité lucide de l'auteur apparaît comme malgré lui. Le récit de la mort de son ami Tyrone Power, par exemple, montre sa peine. Catalogué comme la plus parfaite "canaille aristocratique" du cinéma, pouvait-il, dans ses Mémoires trahir l'image qu'il a donnée tout au long de sa carrière ? "Les acteurs sont un bizarre mélange de réalité et d'imaginaire. Ce sont des ensorceleurs victimes de leurs propres sorts." remarque-t-il en s'interrogeant sur cette image de fripouille qui lui a été attribuée.
Il est probable qu'aujourd'hui les souvenirs de George Sanders seraient édités avec une sévère révision de leur contenu car certaines de ses réflexions sont marquées au coin du machisme et du racisme. Remises dans le contexte de l'époque, elles ne font que refléter (pour peu qu'on les prenne au premier degré) les prises de position en cours dans ces années-là. Il faut faire confiance au lecteur pour faire la part des choses ! Et puis tout cela est enrobé dans une écriture tellement réjouissante ! Honte sur moi si le repas chez les Japonais m'a fait hurler de rire !
George Sanders insiste sur son côté dilettante, "la force motrice de ma vie a toujours été la paresse ; pour pratiquer celle-ci, dans un confort raisonnable, s'entend, j'étais même prêt, ponctuellement, à travailler." (p.76). L.B. Mayer désirait changer l'image de l'acteur et en faire une "star romantique" (pp.75-76), mais Sanders rata le déjeuner auquel il était convié afin de terminer la construction d'un télescope ! Paresse et désinvolture, sans doute, mais aussi intelligence et passions multiples, ces "Mémoires" ne révèle qu'une infime partie de l'homme caché derrière ses rôles. Mais quel bonheur de lecture ! Un régal d'humour sur tous les tons !
En 1970,George Sanders déclare à un journaliste "Voyez-vous, je suis un cynique. Nos valeurs dans la vie sont toutes fausses et la vie est simplement matière à faux-semblants. J'ignore où va le monde et je m'en fiche. Je suis juste heureux de penser que je ne serai pas là pour le voir" (Epilogue de Romain Slocombe) (p.254). En avril 1972, George Sanders, conscient de son déclin physique, avale cinq tubes de somnifères avec une bouteille de whisky.
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