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Beaucoup d'entre nous ont en mémoire le débat musclé qui opposa Serge Gainsbourg à Guy Béart. Contre le second, le premier d'un ton sentencieux considérait la chanson comme un art mineur puisque la pratique de cette dernière ne demandait à ses yeux aucune initiation ; ce en quoi d'ailleurs il avait partiellement tort : sans connaissance de la métrique, Aznavour n'eût pas composé les mêmes textes mais aussi Gainsbourg, Béart et tant d'autres.
Ancien peintre - "je ne me suis pas trouvé" disait-il - Gainsbourg s'adonna à cet art réputé majeur de treize à trente ans. Après avoir détruit la quasi totalité de ses toiles, une nouvelle carrière s'ouvrit à lui, celle d'auteur compositeur interprète.
Or quand dix-sept années durant, on a manié avec ferveur le pinceau, il en reste des traces. Aussi la position de Gainsbourg face à Béart se comprend-t-elle d'autant mieux que celui-là avait dû acquérir un bagage culturel et technique considérable avant de s'efforcer de voler de ses propres ailes. La peinture à l'évidence réclame un effort de longue haleine devant lequel l'idée même de "génération spontanée" passe pour une hérésie.
Mais oublions la chanson, non dépourvue de lettres de noblesse et où Gainsbourg du reste joua paradoxalement un rôle de premier plan. Intéressons-nous maintenant de manière plus générale à l'initiation en matière artistique.
Il va de soi que rien de bien sérieux n'a été créé en l'absence de toute référence esthétique, de tout apprentissage, de tout esprit d'ouverture. Quelle que soit sa forme, l'art n'a jamais cessé de se nourrir de l'art pour exister.
Mozart lui-même, contrairement à une légende trop souvent entretenue, n'était pas parti de rien, même si, apanage du génie, ses trouvailles fulgurantes servies par une prodigieuse mémoire, lui faisaient accomplir des merveilles. Il avait en tête une monumentale bibliothèque sonore amassée chez ses devanciers, à l'intérieur de laquelle il savait imprimer sa marque, sa griffe personnelle.
Reconnaissables à la première écoute, ses œuvres néanmoins ne manquaient pas de s'inscrire dans le prolongement d'une tradition séculaire.
Cette réflexion peut non seulement s'étendre à tous les autres musiciens mais aussi à tous les artistes.
Imagine-t-on une seule minute que Rimbaud n'ait rien appris de ses prédécesseurs, voire de ses contemporains ? "Le bateau ivre" notamment, d'allure si singulière, ne "surgit pas armé de son cerveau" (Paul Guth). Certains critiques dignes de foi ont même noté que "l'homme aux semelles de vent" avait trouvé dans "Vingt mille lieues sous les mers" du fécond Jules Verne une véritable source d'inspiration.
Aujourd'hui, hélas, combien de poètes qui se piquent d'écrire des alexandrins, n'ont pas pris la peine de lire le moindre traité de versification ! Tant de quatrains boiteux font injure à leurs aînés dont ils seraient bien inspirés au passage de tirer des enseignements. Faute d'initiation, ceux-là vont tourner pour ainsi dire en rond, sans pouvoir donner leur pleine mesure. Rejetant tout travail préalable, ou n'en soupçonnant point la nécessité, ils ne parviendront jamais à imposer leur différence.
Quel gâchis ! Quelle désolation !
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