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Les trois rameurs sont les besogneux, la Loire est la vedette.
Un arrêt sur le pont de Loire à Nevers entre amis peut changer un moment de vie, tout comme fêter ses cinquante ans de façon bien arrosée.
Ils sont trois amis et, après (ou pendant) les libations lancent cette proposition « descendre la Loire en barque » Ben oui, pourquoi pas et le lendemain l’un d’eux ressort la proposition… c’est l’engrenage, surtout lorsqu’ils dénichent sur le Bon Coin une annonce « Vend barque ». Une grosse barque en alu à fond plat. Pour eux trois, cela devrait aller. « une ancienne barge de pompiers, une grosse ferraille rouge et piquée (peut-être moins rouge qu’entièrement rouillée), un parallélépipède évasant dénué de fuselage, fond plat, carène épaisse, des plats-bords ourlés, lippus, quelque chose d'immaniable, long de sept mètres pour deux de large, deux cents kilos à l'oeil, poids net. »
Et vogue la galère, pardon la barque ! Elle a un prénom « Nénette »
Les trois copains débutent leur périple à Andrézieux. Plus en amont, les dimensions de l’embarcation n’autorisent pas la navigation.
Le livre n’est pas un carnet de bord, mais les impressions de l’auteur, « à hauteur de paupières », à hauteur de sensations.
Michel Jullien m’épargne les descriptions cartes postales tout comme les bruits de son nombril.Tout n’est que sensations visuelles, auditives, olfactives. Oui, la Loire a une odeur (je suis assez souvent à son bord des heures à traquer oiseaux et autres libellules) une odeur sucrée de vase, poissons, limon et essences végétales diverses - quoi, ça pue !! mais non, c’est une sensation délicieuse, vous y êtes et ça se sent !
« La barque évolue dans une espère de silence engorgé de bruits, entendus de loin, à l’écho, des bruits dont on ne voit pas l’émission, l’origine » et puis, il y a le clapotis sur la coque ; le couinement des rames dans leurs dames de nage empêche de l’entendre, mais lorsqu’ils ne rament pas, ils perçoivent « un gargouillis de haute-contre… quelque chose de fin, posté entre le fredon et le cliquetis » Des fois, l’embarcation « froufroute de la coque » lorsqu’elle touche un haut-fond.
La Loire, tout comme l’Allier n’est pas si dolente qu’elle y paraît avec ses tourbillons, le passage des ponts, les hauts-fonds.
Pour dormir, il dégotte un îlot où, la nuit, les coassements des grenouilles et autres crapauds ne sont pas qu’un petit bruit de fond agréable.
Les trois rameurs sont les besogneux, la Loire est la vedette.
Qu’est-ce que j’ai aimé ce voyage sur la Loire. Rien de sensationnel, mais il faut le faire. Les sensations que Michel Jullien décrit avec un vocabulaire imagé sont emplies de poésie. C’est également une échappée littéraire car la Loire a connu moult grands écrivaines et écrivains que l’auteur insère dans le paysage tels Madame de Sévigné, Jules Renard, Paul Valéry… sans que ce soit redondant.
La Loire, fleuve royal et majestueux (n’oublions pas l’Allier!!), vivant, habité, Michel Jullien un auteur au talent certain, tout ceci en fait une très belle lecture.
Un bonheur de lecture où l'humour pointe le bout de son sourire
J'en fais un coup de coeur
La Loire est un fleuve nonchalant que l’avènement du train sauva du labeur. Quiconque la croit docile se fourvoie. Il y a les rives qui s’effondrent, les bancs de sables qui confondent, les courants trompeurs et la marée, près de l’embouchure, qui force la manœuvre. La Loire se mérite. La Loire se respecte. Michel Jullien la vénère, comme l’Amazone ou l’Everest.
Avec ses deux comparses, il entreprend de la descendre en barcasse, parodie de gabarre, d’Andrézieux à Saint-Nazaire. Le jour, ils souquent à tour de rôle, glissant entre les rives d’où les pêcheurs immobiles les observent. La nuit, ils campent sur de petits ilots, dérangés par le coassement des grenouilles.
Le héros de cette aventure, c’est la Loire. Michel Jullien en décrit magnifiquement les caprices, les bruits sur la surface (p33), les abandons (p42), les effluves délicates ou nauséabondes (p65) ou encore, la vision menaçante des centrales qui signalent leur sombre présence par d’interminables panaches blancs (p69).
Je suis grée à l’auteur de ne pas avoir gâté le voyage avec des considérations touristiques (à votre droite…) ou une introspection que la contemplation du fleuve aurait pu susciter. Il n’en a que pour le fleuve. Il en parle d’une langue poétique, vernaculaire aux abords des villages.
J’ai aimé donc, mais je ne suis pas objective. J’ai passé mon enfance près de Châteauneuf-sur-Loire. Avec mon grand-père, nous avons taquiné le goujon, rêvé de silure et guetté l’échassier. Quel bonheur de revivre son enfance sous la brillante plume de l’écrivain.
Bilan :
Île de Valaam, nord-ouest de la Russie, dès la fin de la seconde guerre mondiale, les éclopés, culs-de-jatte pour la grande majorité d'entre eux, y sont relégués, dans un ancien monastère, pour ne plus mendier dans les grandes villes du pays. Là, vivent Piotr et Kotik. Piotr est comme beaucoup de ses voisins, amputé des jambes. Kotik, lui, a encore une jambe, un privilégié donc, mais n'a qu'un bras, les deux membres restants du même côté.
C'est sur cette base historique que Michel Jullien construit le roman de ces deux hommes qui vouent un culte à l'aviatrice Natalia Mekline (1922-2005), héroïne de guerre.
Le livre débute par un travelling absolument génial de la communauté îlienne. Dans une langue un brin précieuse -j'ai dû aller chercher la définition de quelques mots : "bollard", "piédouche", "paisseau", "tronchet", "cauteleux", "mofettes", "bagotter", "higoumène", "soulte", "empeigne", "dessiller", "embrever"- et en même temps d'une grande modernité, de belles longues phrases déstructurées, très ponctuées, assemblant en elles parfois plusieurs idées, Michel Jullien parvient à faire naître de nombreuses images. J'en ai apprécié chaque mot, chaque tournure, que j'ai lus lentement pour n'en rien rater.
Puis, le romancier, dans sa deuxième partie, s'attarde sur le duo Piotr/Kotik, avant qu'ils n'arrivent à Valaam, leur amitié, leur force malgré leur jeunesse. Tout n'est pas dit, et il faut deviner des traits de caractère, des conséquences de leur situation de mutilés de guerre, Michel Jullien parie sur l'intelligence du lecteur. Il continue sur le même rythme, le même style littéraire, qui, parfois, induit quelques longueurs, car je le disais plus haut, pour bien en profiter, il faut tout lire, prendre son temps, ce ne sont pas des longueurs rédhibitoires, elles participent à la bonne compréhension de la vie des deux jeunes hommes dans le monastère.
Cent-vingt pages qui peuvent prendre un peu de temps (avec en prime un court dossier sur l'île de Valaam et Natalia Mekline), mais qui sont d'une grande beauté, qui peuvent déplaire, mais qui, lorsque le lecteur s'y retrouve lui donnent une grande joie, un plaisir de lecture indéniable. Sans doute y aura-t-il des critiques plus objectives, plus construites que ma recension, mais je me suis totalement, et dès le début , laissé emporter d'abord par cette écriture si particulière, si belle, puis par le contexte et enfin par Piotr et Kotik. Comment aurais-je pu résister à un texte qui débute comme ça -avec cette première phrase que j'ai relue plusieurs fois, me demandant pourquoi elle était construite ainsi et finalement la trouvant parfaite ?
"A ce point que, de bonne foi, on n'aurait pu prétendre à un hasard. En effet, on vit sortir un mutilé de sa cellule, héros de l'île parmi d'autres, diminué sous le fessier avec un déhanchement inoubliable, une espèce de pendule volontaire, le corps oscillant d'avant en arrière à chacun de ses pas qu'il effectuait sur les mains, agile, plutôt souple et sans que rien ne pesât, les épaules comme elles travaillent aux arceaux, un magnétisme terrien, à peine empesé, les deux bras enroulés dans un fichu de laine, les paumes servant de talon, le poignet efficace, en soutènement, actif, un grand moignon, à lui tout seul se balançant entre deux foulées, le buste qu'il envoyait au sol comme un plot, une potiche mobile avec un peu de poussière flottant autour des hanches à chaque nouvelle tombée, un bassin qui servait de bollard." (p.11)
Alors, comment résister ? Et la suite est aussi réjouissante. Vive la préciosité -des imparfaits du subjonctif, des mots peu usités, des tournures de phrases osées- dont je parlais plus haut lorsqu'elle sert un texte si beau.
Un roman d'une rare poésie. Une lecture ardue car un style littéraire très poussé, un vocabulaire dense qui m'a donné plus d'une fois l'envie de battre en retraite, mais toujours cette histoire d'amour d'une chienne pour un maître qui n'est pas le sien mais qu'elle a choisi, qui me retient et me fait continuer, page après page, pour savoir ce qu'il va advenir de ses deux êtres qui se sont trouvés. Des descriptions telles, que l'auteur donnerait âme et vie à un fil de fer barbelé. Avec humour, tendresse, il nous raconte une histoire banale mais tellement pleine de bons sentiments qu'elle nous émerveille. Un livre à découvrir absolument.
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