« Je voudrais que ma vie et ma mort servent à quelque chose. »
« Je voudrais que ma vie et ma mort servent à quelque chose. »
Je ressors complètement bouleversé de ma lecture de Crayon noir, Samuel Paty, histoire d’un prof. Cette BD hors normes n’est pas seulement un hommage à ce professeur d’histoire-géo victime du radicalisme religieux, des réseaux sociaux et de la bêtise humaine. C’est un hommage à la liberté d’expression, ce que Samuel Paty expliquait à ses élèves du Collège du Bois d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines.
Les auteurs de ce livre essentiel commencent par le 21 octobre 2020, dans la cour de la Sorbonne : l’hommage national à Samuel Paty. Ce jour-là, il est décoré à titre posthume des Palmes académiques et de la Légion d’honneur. La chanson « One » de U2, choisie par Mickaëlle Paty, sa sœur, est diffusée. Des textes très forts de Jean Jaurès, de Gauvain Sers et d’Albert Camus sont lus. Mais pourquoi et comment en est-on arrivé là ?
Valérie Igounet, pour le texte, Guy Le Besnerais pour l’adaptation et le dessin, avec Mathilde pour la couleur, se sont lancés dans une reconstitution montrant l’engrenage de faits qui ont mené à l’horreur absolue : la décapitation, en pleine rue, d’un enseignant !
Du mercredi 2 septembre 2020, l’ouverture du procès des attentats de janvier 2015, au jeudi 15 octobre 2020, tout est relaté, décortiqué, analysé avec précision. Crayon noir est étoffé de nombreux témoignages. C’est impressionnant avec des dessins très parlants ; les coloris sont précis bien adaptés à la scène proposée.
Charlie Hebdo republie les caricatures qui ont fait de ce journal une cible des islamistes : « Tout ça pour ça ».
C’est le moment de parler d’Abdoullakh Anzorov, français d’origine tchétchène. Sa famille s’est réfugiée en France et vit à Évreux. Au passage, Valérie Igounet fait un très intéressant rappel de l’histoire de la Tchétchénie. Cet Anzorov, le futur assassin, est connu de la police pour violences. Il a été exclu de son lycée en 2018, rejeté des formations aux métiers de la sécurité à cause de son casier judiciaire. Il est très actif sur les réseaux sociaux. Sans ces fameux réseaux, Samuel Paty serait toujours en vie !
Les médias islamistes appellent tous les musulmans à venger le prophète et à prendre à nouveau pour cible, Charlie Hebdo.
Dans son collège, Samuel Paty est très actif, organise des activités autour de l’histoire de l’islam et voilà déjà, une certaine Zora qui se manifeste, rétive à l’autorité.
Le mercredi 30 septembre 2020, Anzorov renonce à partir combattre en Syrie et choisit une cible pour faire son djihad en France. De son côté, Samuel Paty propose à ses élèves de 4ème de réfléchir à la liberté de la presse.
Le lundi 5 octobre, Samuel Paty conduit donc une étude critique du dilemme : publier ou pas les caricatures et va les montrer à ses élèves. Pour ne choquer personne, il propose à ceux qui veulent de sortir de la classe. Ils seront sous la surveillance d’un autre adulte. Cela dure deux minutes. Déjà, dans la cour du collège, on déforme ce qui s’est passé et les premiers mensonges apparaissent.
Quand Samuel Paty propose le même cours à une autre classe de 4ème, il change et demande simplement à ceux qui ne veulent pas voir, de fermer les yeux ou de détourner le regard. S’ensuit un débat très riche avec les élèves. Une formidable double page rend bien la discussion dans la classe.
Hélas, les réseaux sociaux accueillent et diffusent déjà des rumeurs. Zora, fille de Brahim Chnina, est exclue deux jours pour absences, retenues, avertissements… Alors, elle raconte à son père une version des faits erronée, elle qui n’était présente dans aucun des deux cours concernés.
Sans réfléchir, son père lance la polémique sur les réseaux, soutenu aussitôt par Abdelhakim Sefrioui, activiste islamiste. Ils viennent tous les deux au collège où la principale est remarquable de sang-froid.
La polémique enfle rapidement mais l’administration se couche devant les religieux extrémistes et ne soutient pas aussitôt le professeur. D’ailleurs, deux profs du collège se désolidarisent de Samuel Paty.
Lettres, messages, coups de fil, courriels, rien n’arrête l’avalanche de haine et de mépris pour la vérité.
Pendant ce temps, Samuel Paty reste calme, s’explique, répond aux questions, trouve même un moment pour jouer au tennis ou au ping-pong avec David, son collègue d’histoire-géo.
Une double page très inquiétante illustre le mardi 13 octobre 2020. Je sens que tout dérape. De son côté, Anzorov, accompagné de deux amis, achète un poignard dans une coutellerie de Rouen.
Les vacances de la Toussaint arrivent. Hélas, ce vendredi 16 octobre, aucun collègue ne peut accompagner Samuel Paty chez lui comme cela se faisait depuis un mois.
Dans la rue, un homme bizarre, cagoulé, soudoie un élève avec 300 € pour qu’il lui montre Samuel Paty. Avec quatre camarades, ils font ce qui leur est demandé et… double page noire !...
Lire la suite ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2025/01/crayon-noir-samuel-paty-histoire-d-un-prof-valerie-igounet-et-guy-le-besnerais-bd.html
La bande dessinée commence par des funérailles nationales en octobre 2020 car c’est malheureusement par son assassinat que la société a connu Samuel Paty, professeur d’histoire au Collège le bois d’aulne.
Samuel Paty était un professeur impliqué qui aimait jouer au ping-pong et parler philosophie dans la salle des profs. C’était un homme de débats qui en faisait profiter ses élèves faisant ainsi appel à leur intelligence et à leur esprit critique
La bande dessinée met très bien en perspective le rôle et l’intervention de multiples acteurs (élèves, corps enseignant, Éducation nationale, parents d’élèves, groupes extrémistes, groupes religieux…).
A la lecture de cette enquête très fouillée et basée sur de nombreux documents et témoignages, on comprend à quel point il était difficile de prendre conscience de la tournure des événements et de leur issue dramatique.
A lire pour ne pas oublier !
« Raconter, c’est empêcher que la mort ait le dernier mot » Yannick Haenel.
« Le problème avec cet attentat, c’est que Samuel Paty n’a pas été assassiné parce qu’il a montré les caricatures du prophète. Entre parenthèses, cela faisait 4 ans qu’il faisait ce cours. Ce n’est pas ça l’objet. Il a été assassiné parce qu’une jeune fille a menti à son père qui a préféré croire la version de sa fille plutôt que celle de l’institution. Le rôle des réseaux sociaux est central. Samuel a été victime d’une forme de harcèlement très lourde. » Eric, un des profs.
Je ne reviendrai pas sur le terrible assassinat de Samuel Paty. C’est un drame que l’on conserve tous en mémoire.
Je voudrai seulement saluer cette reconstitution bien documentée, pédagogique, rigoureuse et en même temps, très accessible.
Pour rappel, Valérie Igounet est une historienne et politologue, spécialiste du négationnisme et de l’extrême droite en France.
Mention spéciale pour le graphisme qui convient parfaitement à une salle de classe, à une progression dramatique et funeste, telle qu’on la connaît. Les expressions, les attitudes de chacun sont « croquées » avec beaucoup de précision et de talent par Guy le Besnerais.
Plusieurs thèmes sont particulièrement bien traités :
- Une réflexion sensible et intelligente sur le métier de prof. Samuel Paty était un amoureux de l’enseignement. Faire comprendre, transmettre, apporter la curiosité et l’envie d’en savoir plus. Développer l’esprit critique, même en interpellant et en choquant par les questions qui réveillent.
Dans l’hommage à Samuel Paty le 21 octobre 2020, Christophe Capuano, un de ses amis les plus proches, cite J. Jaurès. (Entre parenthèses, dans tous les épisodes tragiques, il y a toujours quelqu’un pour citer Hugo ou Jaurès)
« En 1888, Jean Jaurès écrit aux instituteurs(rices) : Vous tenez entre vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie.
Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire, à faire une addition ou une multiplication.
Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits elle leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin, ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme. »
- L’accent est mis également sur la notion de liberté. Jusqu’où pouvons-nous aller et cette question est essentielle pour la diffusion des caricatures.
« Comment formuler une définition de la liberté à la lumière de l’exemple de la liberté de presse …Et poursuivre notre réflexion sur le dilemme de Charlie hebdo ?
La liberté est un droit qui consiste à faire ce qu’on veut en respectant la loi, sans nuire aux autres. »
- L’accent est mis également sur le rôle de l’administration qui a traité le problème sans en percevoir la gravité. L’avocate de la famille Paty le résume en un souci de « pas de vagues. »
« Le référent laïcité a été clair : Mr Paty est fondé à utiliser les caricatures qui sont un matériel comme un autre. Mais selon lui, c’est une erreur d’avoir fait sortir des élèves. Même avec une bonne intention, cela constitue une entorse au principe de laïcité. »(…)
« Il (le référent laïcité) ne s’attarde pas sur la campagne de dénigrement contre Samuel Paty que mène Brahim Chnina auprès des musulmans. »
- Ce qui est magistralement traité, est le rôle des réseaux sociaux, propagateurs de rumeurs mensongères. Ils se nourrissent de la facilité, de la paresse intellectuelle, de violence et de l’absence totale de sens critique. Exactement ce que combattait Samuel Paty….
Le plus sidérant, et le plus absurde aussi dans cette tragédie, c’est que l’assassin n’avait pas de cible. C’est les réseaux sociaux qui lui ont désigné sa proie.
Une BD à lire pour ne pas oublier, pour ne pas recommencer.
Mais ça, c’est un autre débat et on a vu que les individus ont souvent la mémoire courte, et qu’ils sont prêts à croire tout ce qui est facile et exagéré.
Je n'étais pas emballé par l'idée de lire un album sur cette affaire… mais cette lecture est utile, édifiante, voire nécessaire. Le travail journalistique remarquable de Valérie Igounet permet de retracer précisément les mois qui ont précédé le drame. Son enquête minutieuse l'a conduite à échanger avec les collègues, élèves, parents, lui permettent de citer les échanges de mails, les préparations de cours, les messages sur les réseaux. L'équilibre est bien dosé entre le déroulé très factuel des évènements et l'émotion des témoignages des proches ensuite. La mise en images de Guy Le Besnerais est bien maîtrisée avec une narration fluide malgré une masse d'informations importante, avec un petit bémol sur le lettrage qui manque parfois de lisibilité. Un témoignage fort.
(Lu dans le cadre du Prix Orange de la BD 2024)
https://www.instagram.com/p/C4Li-CztD_Z/
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