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Jumeau Jumelle est un récit à la fois beau et poignant.
La narratrice ressent le besoin de mettre des mots sur la maladie de son frère, celle qui va le lui enlever.
Cependant, elle se rend compte qu'elle ne sait pas comment aborder cet écrit, elle ne veut ni être larmoyante, ni trop détachée, ni révéler des secrets qui n'appartiennent qu'à eux.
Petit à petit, elle pose ses phrases, qui deviennent des paragraphes, une pensée en entraînant une autre.
Cet exercice devient un exutoire pour sa peine, pour ce passé partagé.
Jamais son frère ne saura ce qu'elle écrit, ce tête-à-tête n'aura pas lieu de son vivant.
Un amour éternel pour son frère. Un texte intime, bouleversant et authentique où il suffit juste de se laisser porter par les mots de Marisol Drouin.
Un instant d'infinie tendresse, d'amour et de poésie.
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« Jumeau Jumelle » lorsque l’intimité d’un texte devient subrepticement l’horizon en front de mer. Ce livre sait tout de la moindre empreinte sur le sable. La marée-basse qui réinvente la vie. Le murmure des vagues qui sait tout de l’amour. Celle d’une fratrie, d’une sœur et d’un frère jumeau-jumelle. L’osmose de la connivence. La complicité des matins calmes. L’enfance comme du linge frais claquant au vent.
Grandir ensemble, s’émanciper et vaincre les nuits ivres d’éclats de rire sous les draps.
Ce serait cela le versant sud de ce livre bleu-nuit.
Mais la maladie frappe sur les pages de ce livre vital et ses fécondités salvatrices. Marisol Drouin a « repris son livre tant de fois », jusqu’à l’épure, le dernier souffle. Le lien familial qui résiste à la finitude, à l’après. Elle écrit l’incommensurable. Le cancer tarentule qui dévore ses proies. Le sien, comme une étape à sa métamorphose. Au cri sombre dans les nuits qui n’en finissent pas. Écrire son frère, comme l’être touché en plein cœur. « Mon frère a toujours eu la santé fragile. Mon corps solide, tendu, musclé. Celui de mon frère long et frêle. Je n’ai aucun souvenir d’enfance sans mon frère ».
Son double gémellaire, siamois des jeux, des confidences, du lait bu le matin en diapason. La gloire d’une gestuelle commune. « Mon frère était une personne résiliente, calme et mesurée. Je suis bouillante, impulsive, révoltée ».
Marisol Drouin lâche ses mots. Les révélations comme du papier cadeau le soir de noël. Ne rien céder au silence. Détourner l’injustice, et étreindre ce petit frère liane, happé par la maladie, un cancer du cerveau.
Elle, convalescente et en rémission. Comprendre le corps qui cède. Les armures d’une enfance sereine, fissurées immanquablement. Porcelaine qui se fracasse sur le sol d’une maisonnée. « Le temps du livre. Le temps de la maladie. Ce qui sera, après. Le livre. La maladie ».
« Jumeau Jumelle", un viatique de survivance. Subvertir les faiblesses d’un corps qui s’abandonne, encore un peu, pour demain le point final. « Abandonner au moment où j’aurais voulu que tout tienne ». La mort en bandeau noir sur le livre. Résister par l’écriture. Le jugement dernier comme un sourire en plein vol de pardon. Elle, qui lui survivra. Ce frère abîme, l’ami, la fusion. La plume front pâle et les mains qui se figent.
Marisol Drouin est d’acuité. L’éminente trame qui pourvoit au repentir. Latitudes et architectures, le jumeau en filigrane, le grain de lumière dans le désert devenu.
« Que je ne sois pas seule dès l’origine du monde. Que mon frère soit à mes côtés dans le ventre de ma mère ».
Merveilleux livre tremblant de pluie, de plénitude, de battements de cœur. Lire cette chapelle entre la coquille et le nid, matrice rédemptrice où tout peut advenir encore : la guérison. Serait-ce possible que le vœu d’écriture change la donne et accorde une seconde chance face à l’adversité ?
Ce livre m’a fait pleurer et pour cause. Mais ici, deux enfants carillonnent et déposent leur couronne de roi et de reine. « Jumeau Jumelle », le regain des survivances. Un havre d’amour indestructible. La séparation comme une douleur infinie. L’écriture qui exauce « la honte d’être encore vivante ». « Jumeau Jumelle » garder le son de la voix, la tonalité qui berce ces pages qui formulent l’alphabet où tout recommencera, autrement.
Un éloge de lumière.
Marisol Drouin après un récit « Je ne sais pas penser ma mort » (2017), ainsi qu’un recueil de poésie , « Lola et les filles à vendre » (2020), « Jumeau Jumelle » est la consécration, l’œuvre solstice. Publié par les majeures Éditions La Peuplade.
Panser la douleur et raconter l’histoire de la perte par l’écriture, c’est en partie ce que Marisol Drouin avait fait au travers de son essai Je ne sais pas penser ma mort en 2017. Alors cette fois-ci, l’autrice et poétesse québécoise s’empare du sujet par un tout autre prisme. Liant le récit aux souvenirs de l’intime et à la force du sang que l’on partage, il y a dans Jumeau jumelle l’éternel amour face au vertige de la maladie.
De l’enfance à l’âge adulte, la narratrice explore avec minutie la relation qu’elle entretient avec son frère. Aux caractères tout à fait opposés se mêlent tout de même la solidité du lien fraternel et une admiration sans faille pour ce pendant masculin au cœur d’une famille parfois instable. A l’annonce de la tumeur incurable au cerveau dont il est victime, écrire ce livre dont les pages se tournent sans se ressembler devient pour elle une nécessité. Seul remède à l’inéluctable : évoquer la puissante fragilité de l’être pour ne pas sombrer tout en ravivant ce frère au destin écourté.
La chronologie de la maladie est au centre de l’affection que la narratrice porte à son frère. Chaque détail est décrypté dans le processus du choc émotionnel et tous les sentiments convergent vers l’inacceptable. De l’accompagnement à l’hôpital, « lieu de toutes nos vulnérabilités », à la brutalité de l’annonce « Le mot et le lieu. Tumeur et thalamus. La masse et l’organe comme un petit cœur lové au centre du crâne », les remords naissent de la posture qu’entretient la narratrice face à la situation, elle qui est de l’autre côté. De celui des survivants en rémission certaine. Ce frère devient le miroir de ce qu’elle était autrefois dans la maladie, jumeau malchanceux (sans en être réellement un) dont « la maladie n’est pas la mort » mais bel et bien « encore la vie ».
De l’écriture incisive de Marisol Drouin naît pourtant la force des liens du sang, de ceux qui survivent à la vie comme à la mort, de l’amour porté à ce frère canonisé à jamais dans le livre de la narratrice. Si la souffrance et la perte ornent les pages, c’est avec une profonde poésie et un lyrisme éclatant que le récit est porté. Un livre dans un livre, « amas de mystère et de clarté » dans lequel l’écrivaine prend la place de celui qui s’en va, usurpe l’identité pour ressusciter puissamment et à jamais le corps qui dépérit en exprimant « la honte d’être encore vivante ».
Au son d’un morceau de Dolly Parton, sur les routes du Cap-Tourmente ou en fuite dans la nuit hivernale, l’autrice originaire de Baie-Saint-Paul esquisse avec une immense humilité les émotions contrariées, le déni au fil des saisons et la reconstruction au cœur même du chaos. De l’écriture au livre-objet, de la vie qui continue à la mort qui emporte tout, y résiste plusieurs pages blanches, livre inachevé ou métaphore de l’existence que l’on ne prédit pas. A chaque lecteur son interprétation…
Retenez l’épure, ce qui résiste de par les sens, cette annonce sans compromission au plus juste du levier. Les corps des femmes sont des flambeaux, qui assignent au verbe, muses expressives et souveraines. Un murmure polyphonique, d’une page à l’autre, d’une femme à l’autre. Elles sont siamoises, résistantes, corps de rives, de cris, de ce cru dont la beauté ruisselle de vérité implacable. Rose : « Si j’avais un homme, j’aurai abusé de mes privilèges. Je n’aurai fini aucun texte. » « Lola et les filles à vendre » Orchestre dont l’écoute est l’écho désiré. Celui que l’on garde. La phrase dédiée à la femme corde à nœuds. Karine : « Même si j’inventais des héroïnes sans brassière avec muscles aux bras, comment écrire une lettre d’amour à un homme. » Empreintes, gestuelles, femmes nôtres, restez dans cette assisse. On vous observe, vous relève. « Isabelle », ma belle, ma sœur, entre les pages ainsi vêtues : « T’écris comme un homme, j’écris comme un homme, après chaque livre, je quitterais femme et enfant. » « Lola la tenir debout, la secouer, la vendre. » « Pas juste les films de zombie qui font pleurer. Ya le métro et les putes heureuses. » Prostitution, mon double de rouille et de haine. Sophie, à toi parle, tendresse soignée, à peine voilée, cris dans la nuit noire. Les mots ne sont pas des écharpes de laine. Mais tu creuses la terre, retourne le vide à mains nues. « Sous les mondes et les soleils cachés, j’attends l’invitation, le trou noir, la fête dont on ne revient pas. » « Lola et les filles à vendre » est de haute contemporanéité. Un porte-voix, un appel d’air, lianes féminines. « Lettre à une jeune écrivaine » est alliage, page finale. « Les filles ne tuent pas en général, se font tuer. » « Mais c’est fini après Lola Song c’est fini. » « Je t’ai attendu dehors, j’ai fait semblant de jouer dans les flaques d’eau. Tu m’as dit : t’es pas comme les autres filles, tu fais pas semblant toi. « L’amour c’est pour les filles qu’on reconnait dans la rue. » Lola et les filles à vendre » est magistral. Un livre perpétuel, claquant. Il casse les codes. C’est un feu follet. Il ne craint pas les implacables soumissions et affronte l’arrogance des faux-semblants. Les poésies de Marisol Drouin, québécoise, sont une mise en abîme impressionnante et fondamentale. Magistral. Publié par les majeures Editions La Peuplade
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