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L’œuvre d’Irène Dominguez sur la première de couverture est un symbole fort. Le lien de concorde avec Amalia Basoalto. Le lever de voile sur un pan de l’Histoire mouvementée dans l’Amérique latine. Ici, c’est le Chili et ses martyrs de la dictature militaire d’Augusto Pinochet. À savoir le coup d’état du 11 septembre 1973 jusqu’au 11 mars 1990 et plus encore.
Santiago, 1970, un groupe d’artistes engagés peignent sur les murs. Des couleurs expressives, les traits tirés, œuvres de combat et de résistance. « La Brigade Ramona Parra » interpelle la résurrection, les subversifs. Ils sèment des couleurs, un face à face avec les tortures, les disparitions, l’oppression ensanglantée. Amalia n’aura de cesse de se battre avec des pinceaux contre Pinochet, les militaires et les délateurs.
Amalia, amoureuse des poésies, des contes chuchotés par sa mère lors de son enfance. L’art en diapason et la délicatesse alphabétique de l’Histoire triste du Chili. Les Mapuches bannis, le peuple aux abois, si près de nous encore.
Les armes pacifiques, contrer son père notable et si ambiguë qui louvoie et dont on pressent un double-jeu, l’hypocrisie sombre et assassine.
« Il y a bien longtemps, Amalia savait peindre la musique, et les couleurs dansaient sur la toile ».
Les mots bâillonnés, la rémanence d’un pictural qui parlera en son nom.
L’écriture est gémellaire, siamoise d’Amalia, le désespoir d’une dictature d’ombres et de fantômes. Frères et sœurs, la peinture se noie, gorgée de pluie et de rancœur.
« Camélo : frappé à coups de bâton. On m’a bandé les yeux…
Teresa : je les entendais rire pendant qu’ils me torturaient…
Eugénio : j’ai chanté… ».
« La peur engloutit les cœurs... ».Amalia va être dénoncée. Par qui ? Elle se refuse de savoir par qui. Elle cache sous les plis du secret le nom du traite. C’est trop tard. Elle est atteinte par cette trahison. Il faut changer les couleurs. C’est encore temps de contrer les bourreaux. Les souffrances, cheveux coupés et larmes salées. « Avec Allende nous vaincrons ».
Hurler face aux murs des prisons mentales et des laboratoires de tortures, elle, femme, fille et mère. « Souviens-toi Juanito, que tu es cette étoile dans une trouée d’ombre ».
Le récit à tiroirs, le Chili, Santiago, la France Aytré, l’exil et la chute. La destinée gazée par le saccage, la violence sourde. Les relents persistants de sa vie bridée par la dictature et la liberté en agonie. L’injustice, un bandeau noir sur ses yeux et ses tableaux colorés. La répression pavlovienne et insistante. Malade et fragile, l’ubiquité en bataille rangée, « on ira jusqu’où on ira, peut-être pas au bout du monde mais entre le ciel et la terre, toujours ».
« C’est la plus belle langue mère qui revient ».
Chantante et allouée de liberté. L’auréole des survivances, réapprendre le premier mot du premier jour de sa vie. Gestuelle bercée au pinceau. Là où s’achève le contre-jour de l’Histoire chilienne. Les amants aux pommes, parabole et fresque, mains jointes et le pinceau glorieux inondé d’amour et de résistance.
Ce livre poignant est dédié aux persécutés, exilés mappemonde. «Au bord du désert d’Atacama » est engagé, poignant, lucide. Une peinture cruciale, mémorielle. Laure des Accords rassemble l’épars des meurtrissures et des blessures.La couleur souveraine et ce texte devient une ode, un éloge, le portrait d’une Amalia universelle, combattante, digne et rebelle. Publié par les majeures Éditions Le Nouvel Attila.
C’est un livre de silences, de nombreux silences.
Parce que, parfois, il n’y a pas de commentaires à faire, pas d’explications à donner. C’est monstrueux, c’est fait. On aimerait mieux penser à autre chose, à de belles choses, mentir aux enfants, leur dire que ça ne s’est pas passé, que personne n’aurait été capable de faire ça, personne. Mais non, ça a eu lieu et il faut en parler.
Simone Lagrange, déportée enfant à Auschwitz-Birkenau en septembre 1945, témoigne face à des lycéens. Silence. Les élèves sortent, muets, stupéfaits.
Grichka Vyssotski, lui, ne sort pas. Un rideau de cheveux cache son visage.
Et, puis, il y a d’autres silences…
Muet à l’école, l’adolescent le sera tout autant à la maison. Etranger à sa mère, étranger à son père. « Grichka-sans-voix, réveille-toi » a-t-on envie de lui crier aux oreilles. « Fantôme d’enfant sans histoire, sans route tracée sous ses souliers. »
La mère, elle, n’est pas silencieuse mais sa logorrhée affolée masque sa peur, sa gêne.
Le père ne dit rien.
Babou, la grand-mère « coud, brode, tricote », elle rit aussi mais se tait sur son secret, bien caché, bien gardé.
Enfin, Madame Kerouani, la narratrice, professeur dont le métier est de parler, d’expliquer, ne peut pas entrer en scène toute seule, sur l’estrade, devant les élèves. Parfois, elle bloque. Elle ne peut pas dire ce qui la ronge vraiment. Alors, elle cite les vers des autres, elle s’accroche désespérément à une parole qui n’est pas la sienne, une parole porteuse de sa douleur de femme qui vieillit, de femme seule et orpheline bientôt.
Et ces silences, tous ces silences, se mêlent, s’emmêlent : échos de peines, la voix se perd, la bouche se tord, le son se meurt…
Alors, qui parle dans ce livre, d’où viennent les mots qui surgissent ?
Du chœur. Du chœur ? Ah, bon, c’est une tragédie ? Oui, un peu.
Il explique, le chœur, il donne des conseils. C’est son rôle.
« Prends garde aux enfants fous ».
Il dit qu’il faut arrêter de se battre, il dit qu’il faut « déposer les armes ». C’est la sagesse du cœur. Il invite à sortir du miroir, aller plus loin, vers l’autre.
Et puis, il a ce qui va sauver le monde. Quoi donc ? La littérature, voyons, l’aviez-vous oubliée ? Le théâtre. Lieu de paroles. Grichka Vyssotski veut lire. Et faire du théâtre, avec Madeleine. Alors, soudain, « Grichka parle sans s’arrêter », il est torrent, il est déluge. Il est un homme qui « sort de l’ombre à présent ».
Et les autres suivront…
Plusieurs voix qui taisent leurs souffrances, leurs blessures enfouies, leurs secrets étouffés. Et puis, tout à coup, c’est une poésie du jaillissement, une renaissance, une course vers la lumière, pour respirer enfin, vivre, remonter à la surface par la force des mots, par la puissance du verbe, de la littérature.
L’enseignante meurtrie, qui n’y croit plus, prononcera les formules magiques, celles qui font encore lever la tête de quelques-uns et le miracle aura lieu…
- Il faut qu’on parle, dira le père…
En cette veille de rentrée, je ne peux m’empêcher de dédier cette chronique sur ce texte magnifique de Laure des Accords à toutes celles et ceux qui dans quelques jours vont se retrouver devant des enfants dont il faudra délivrer la parole afin que naisse en eux le plaisir du texte littéraire, qu’ils en goûtent les mots, les phrases, les sons, les sens, qu’ils s’en nourrissent et qu’ils en vivent. Et qu’ils en soient heureux…
« De mon corps à leurs voix je sens dessous mes bras grandir comme à l’aisselle d’une feuille de tendres rameaux, jeunes, vigoureux, volubiles, et tout au bout, translucides et coriaces, des bractées aux couleurs argentées, des fleurs avortées, des mots qui me transportent.
Je veux encore une fois, une dernière fois, leur donner de la parole. »
Retrouvez Marie-Laure sur son blog: http://lireaulit.blogspot.fr/
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