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Aziz et Amed ont 9 ans et sont frères jumeaux. Malgré la guerre qui fait rage dans leur pays du Moyen-Orient, ils vivent à peu près paisiblement avec leur famille, au village où leur père exploite une orangeraie.
Jusqu’au jour où une bombe ennemie tombe sur la maison de leurs grands-parents et les tue. Une sorte de chef de guerre vient alors trouver leur père et lui demande, pour venger ces morts, de sacrifier l’un de ses fils, qui devra commettre un attentat-suicide en territoire ennemi au moyen d’une ceinture d’explosifs.
Malgré la douleur et le dilemme (ne perdre qu’un seul enfant, Aziz, déjà condamné par une maladie mortelle, ou en perdre deux, en envoyant Amed, en bonne santé et qui ferait donc un meilleur martyr en augmentant la valeur du sacrifice?), le père obéit et choisit. Mais la mère et Amed, ou Aziz, vont contrecarrer ses plans.
Fanatisme, endoctrinement, sacrifice aberrant, absurdité de la guerre, ce conte moderne évoque ces thèmes au travers du regard d’enfants victimes de la cruauté et de la lâcheté des adultes.
La première partie de ce texte, qui raconte les événements, est plutôt convaincante et fait naître un sentiment d’horreur face à ces atrocités.
Par contre, les deux autres parties, qui livrent le point de vue de l’enfant devenu adulte, tombent un peu à plat. Je les ai trouvées bavardes, artificielles, inutiles peut-être, un peu grandiloquentes et prévisibles. J’ai eu l’impression que l’auteur, à travers le personnage du metteur en scène, cherchait à parer aux éventuelles critiques qui lui auraient reproché de « parler de choses qu’il ne peut pas comprendre parce qu’il ne les a pas vécues », et j’ai trouvé que cela enlevait une partie de sa puissance au récit de la première partie.
Quant à la conclusion en mode « paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté », elle est évidemment souhaitable, mais semble bien simpliste face à la complexité de la géopolitique, surtout par les temps qui courent.
« D’enfers et d’enfants », un bréviaire de l’enfance comme un manifeste des douleurs.
Une grande vague psychologique, résurgence de ce qui façonne l’humain en devenir.
Cinq toiles de maître dont les traductions tragiques acclament le pouvoir littéraire.
La capacité clairvoyante de Larry Tremblay, dont le langage se heurte de plein fouet à la férocité des drames intérieurs.
L’écriture incandescente, spéculative, d’une implacable lucidité. La pulsion même d’une littérature irrésistible. Un classique-né.
L’acuité d’exemplaire sincérité. La parole de cet enfant, boucle perfectible, l’errance des mirages qui dévore le présent.
Nous sommes dans un tremblement où l’enfance signe son destin métaphysique.
« Elle me console quand je perds ma première dent de lait, faite avec le sien… Je me sens étrange comme une flaque d’eau. Je me démultiplie avec des dizaines de mousquetaires. »
« Qu’est-ce que vous écrivez, tous ? -Nous écrivons ta mémoire, qu’ils crient en chœur. Mais l’eau l’efface sans cesse. Alors il faut sans cesse la réécrire ».
Faut-il craindre l’âme humaine et ses tourments ? Ce qui s’agite dans ces petits corps soumis aux diktats familiaux ? Larry Tremblay dresse des portraits où l’enfance vulnérable devient un enfer pour eux. Une preuve désespérante. Le délitement de la sérénité.
« Mais, sous ma peau, le secret prenait de plus en plus de place. Et je devais, même si l’enfant que j’étais n’avait plus faim, manger toute mon assiette. Et en cachette me laver. Et encore me laver même s’il n’y avait plus rien à laver. Vous m’appreniez à m’agenouiller mouillé ».
L’implacable cruauté parentale. Des parents lâches et minables, dont l’enfant, otage des déchirures intestines est blessé dans sa chair. Le genre imposé comme un pouvoir contre l’autre. Fille chez la mère, fils chez le père. La guerre est prononcée. L’identité fissurée. Appréhender les conséquences fatales.
La capacité exhaustive de Larry Tremblay, visionnaire et témoin d’un monde où les enfants n’ont de mémoire que les mécanismes qui broient l’insouciance et l’enjouement. Boucs-émissaires des affres d’une contemporanéité qui foudroie l’innocence.
« Tous les jours, je compte les jours avant Noël ».
« D’enfers et d’enfants », entrelacs essentiels, la munificence d’une parole dont l’impuissance à guérir, soulage par des textes révélateurs et poignants. Les saisons comme des feuilles mortes glacées au sol. La finitude de la joie.
Ici, c’est le pouvoir de la littérature entre les mains d’un auteur de génie.
Après sa trentaine de livres publiés, dont « L’Orangeraie » qui a obtenu de nombreux prix au Québec et en Europe, l’immense « Tableau final de l’amour » , « D’enfers et d’enfants » signe la consécration. Publié par les majeures Éditions La Peuplade.
Très belle découverte que ce court mais puissant roman. L’écriture a la simplicité et la fraîcheur d’un conte et en même temps la force et le souffle d’une tragédie. C’est un mélange qui fonctionne très bien. Mais ce n’est pas le seul point positif : le lecteur est plongé dans le vif du sujet très rapidement, il n’y a pas de détours, l’histoire est extrêmement intéressante et les imprécisions sur l’espace et le temps tendent à la rendre universelle. Il faut cependant préciser que le roman est découpé en trois parties et, pour moi, la première – c’est-à-dire les deux premiers tiers du roman – est clairement au-dessus des deux autres. On s’éloigne malheureusement dans le dernier tiers de cette manière de raconter qui fait le charme du texte, même si, bien sûr, c’est un prolongement nécessaire et intéressant puisque des révélations sont faites. Il était peut-être possible de les introduire différemment, mais on ne va pas réécrire le roman. Je garderai en tête l’image d’Amed et d’Aziz, de leur lien fraternel et de leur innocence face au terrible destin qui leur est offert.
Avec « Tableau final de l’amour » Larry Tremblay nous offre un texte cru, poétique, parfois déstabilisant.
Il romance librement la vie de Francis Bacon et donne voix à l’artiste qui s’adresse à son amant, à sa grande et tumultueuse histoire d’amour, celle qui se terminera comme une tragédie grecque.
Entre quête artistique, quête personnelle et quête amoureuse, on suit toutes les errances d’un homme sans compromis qui se met continuellement en danger.
Traversé par la chair et le sexe, ce roman raconte une vie passionnée, toujours sur la corde raide, jusqu’à l’extrême limite, jusqu’au chaos.
Bacon peignait des personnages déformés, des figures aux frontières de l’humain, des portraits inquiétants qui dissèquent les corps, laissent apparaître la viande, le sang.
Il m’a semblé que Larry Tremblay parvenait incroyablement à transposer tout ça en écriture.
Un texte radical, où violence et beauté se disputent, un texte qui trouble et ne laisse pas insensible.
Bref, de la littérature.
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