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1932, Mississippi.
Noirs, blancs, métis, indiens...... toute une population miséreuse.
Heureusement, il y a le blues !
Toute une foison de personnages.
Tellement que je m'y suis un peu perdue.
Une belle écriture, une belle fresque historique.
Beaucoup de qualités pour ce roman dans lequel malheureusement je ne suis pas rentrée complètement.
J'avoue avoir survolé autant de pages que j'en ai lues.
J'ai un peu honte de ne pas m'être concentrée davantage car je suis persuadée que c'est un bon roman.
J’ai eu la chance de rencontrer le poète et romancier Julien Delmaire, d’échanger avec cet homme solaire et de l’entendre parler de son « Delta Blues », qu’il a écrit (comme ses autres livres) à la machine à écrire dans sa cuisine, sur fond de blues !
C’est donc sur fond de blues (Son House, Robert Johnson) que j’ai l’espoir de réussir à écrire cette chronique sur son livre (« L’espoir c’est la salive du pauvre »)… car je lui dois d’avoir découvert cette musique qui m’était jusqu’alors inconnue, ces mélodies envoûtantes qui rendent addict, ce blues qui était joué et chanté dans les cabarets où les hommes, les damnés, venaient « fêter, exister, renaître ». Ce blues qui constitue l’une des trames de son roman historique.
« Chanteur de blues dans ce genre de rade, c’est une sacré responsabilité. Tu veilles sur des dizaines d’âmes, tu les aides à traverser des récifs d’émotion et tu dois les embellir, les récurer de l’intérieur. T’es le garant de la beauté de la race, mon vieux !... »
Mais… partons pour le delta du Mississipi, en 1932, sous un soleil accablant et une pluie qui a oublié de tomber, rendant les propriétaires de plantation de coton agressifs et plongeant les pauvres travailleurs noirs dans le doute permanent du lendemain (pas de chômage là-bas !). Tous ceux qui ne sont pas blancs souffrent le martyre, le Ku Klux Klan se charge de terroriser et d’exterminer ; un assassin rôde la nuit et frappe ; l’Eglise baptiste est plus jugeante qu’elle n’est consolante. Pourtant, un couple rayonne, celui des personnages principaux BETTY et STEVE. Ils s’accrochent à leur amour, à l’espoir de ce qu’ils construiront, au milieu du monde hoodoo, de ses sorcières et son Dieu Legba, le « maître des carrefours ». Ils adopteront même l’attachant petit JOSHUA, le fils de la prostituée.
L’auteur nous plonge au cœur de la ségrégation raciale qui bat son plein à cette époque, faisant de tout être non blanc depuis des générations un sous-être, un coupable potentiel, un personnage dégoutant par nature et qui devrait avoir honte de sa vie, de sa couleur, de sa condition.
Des règles existent donc partout pour éviter aux blancs d’avoir à côtoyer les noirs de près (les quartiers, le bus, les wc publiques, …) Et autant la police que la justice les ignore, les enfonce même. La suprématie blanche ne connaît pas de limite dans sa cruauté.
Et pourtant « les premiers blancs que vous croiserez sont encore dans les langes, ils babillent et pleurnichent sur des visages d’ébène qui les surplombent, leur sont familiers, penchés au-dessus de leurs couffins depuis le premier jour, souriant à leurs caprices et les tançant avec une gentillesse confite de scrupules ».
Quel dilemme ! Quand de toute ton enfance, la seule femme qui a été tendre comme aurait dû l’être ta mère est une noire, et qu’on t’enseigne soudain que tu dois la mépriser et qu’elle doit t’inspirer le dégoût….. et que ton père te fait assister à la pendaison par le Ku Klux Klan d’un noir que tu côtoyais…..Peux-tu vraiment te construire, devenir un adulte équilibré, capable d’empathie ou deviens-tu automatiquement un être qui a dû couper avec toute humanité pour survivre à l’injustice ressentie par le petit enfant en toi ?!
Voilà ce que va vivre JAMES CONRAD, un des héros du livre, un homme déchiré, énigmatique, qui reproduit malgré lui.
L’auteur nous fait vivre quelques virées du Klan qui « déchaînait les furies »… ça fait froid dans le dos.
Le Klan, c’est la démonstration ultra violente de l’homme faible qui a peur de perdre son pouvoir blanc et sent une révolte sous-cape noire venir pas à pas. Car ANDREW WALLACE, riche mûlatre, le fils bâtard non reconnu d’un riche planteur blanc a bien l’intention de devenir maire ! « Contente-toi d’être riche et vivant » lui dit ce père ambigu qui accepte la visite de ce fils si celui-ci passe par l’entrée de service !!!
Ce même fils qui « se mit à penser à sa mère et à sa foutue mentalité d’esclave. Cette femme était pour lui le symbole d’une race engluée, il éprouvait à son égard une affection distante, mêlée de mépris »
Pas si simples tous ces rapports humains ! Et pour compliquer un peu la chose, on fait connaissance avec l’Eglise baptiste et son PASTEUR LLOYD, veuf d’une mulâtresse et qui a toujours exigé de ses paroissiens qu’ils pardonnent à leurs bourreaux horreurs et injustices ! « La race noire devait faire preuve d’humilité, et plutôt que de rêver aux mirages de l’égalitarisme, faire amende honorable et se purger de la sauvagerie qui défigurait sa face. »
Et les fidèles viennent laver leur âme à l’office. C’est simple et peu onéreux…
Mais là où Julien Delmaire prend le plus de plaisir, c’est quand il flirte avec le réalisme magique, quand il invoque LEGBA, qu’il raconte SAPPHIRA la féticheuse de la forêt et tante de Betty, qu’il convoque les esprits et insuffle crainte et espoir à ses lecteurs. Les rites vaudou (hoodoo) font visiblement frémir notre auteur de plaisir ! Et nous avec lui…
Un livre profond, imagé, visuel et sonore, dont les chapitres courts m’ont d’abord un peu dérangée.
Je vais continuer à lire cet auteur qui met de la poésie jusque dans les pénitenciers dont on ne s’évade pas…
Paris Montmartre en 1909, ce sont les décor et ambiance du roman de Julien Delmaire. Période de paix et de tranformations du pays, La Belle Epoque insuffle un esprit de liberté et d’insouciance. L’Art Nouveau détrône l’art classique, de nouveaux courants artistiques émergent, exhalant l’envie d’un monde nouveau, moderne, coloré. Dans ce mouvement, ses principaux acteurs, écrivains, peintres et intellectuels bousculent le conformisme.
Dans ce Paris, Masseïda, jeune femme noire, déambule sans repère, côtoie la prostitution mais ne s’y perd pas, chante dans les cabarets, et enfin pousse la porte de l’atelier de Théophile Alexandre Steinlen, célèbre pour sa lithographie du Chat Noir mais aussi peintre accompli.
La journée à Montmartre, les odeurs se répandent, les couleurs jaillissent, les voix des nombreux commerçants s’entremêlent… La nuit, à Montmartre, Le Lapin Agile, Le Chat Noir distillent lumière et musique qui réchauffent les cœurs, offrent l’absinthe qui anesthésie les douleurs d’une vie précaire ou d’un avenir sans lendemain ou qui inspire les clients. Sans oublier, au détour d’une rue, sur les pas de porte, dans les ateliers, les chats qui posent ou s’invitent le temps d’une déambulation.
Minuit, Montmartre, est un roman tout en sensualité, une image de Montmartre travaillée par une plume élégante. Les personnages sont authentiques, comme sur les gravures ou les images de nos livres d’histoire. Et dans cet écrin, se déroule l’histoire de Massa et Steinlen.
Sans aucun doute, lors de ma prochaine visite dans la capitale, je monterai la rue Lepic, je lèverai la tête en direction des réverbères de la rue Caulaincourt, je comprendrai mieux l’angoisse de ceux qui ont vu arriver Haussmann avec son appétit de rénovation, je pousserai la porte d’un café et j’enfouirai au fond de mes poches mon âme de touriste pour retrouver la nostalgie si bien exprimée par Julien Delmaire.
Et dire que j'ai failli passer à côté de cette petite pépite....
Nous sommes immédiatement télé-transportés dans ce Paris du début du XXème, dans cette classe populaire et bohème qui a fait fantasmer tellement d'individus.
Oui, il y a la misère, la survie, le froid, la faim et l'inconfort. Oui, il y a la violence, la maladie et la complexité de se sentir entre deux périodes charnières de l'Histoire.
Mais il y a aussi et SURTOUT cette atmosphère de débrouillardise, ces personnages haut en couleur si attachants. Et puis, le milieu des artistes... Si magique vu de l'extérieur, qui semble être le seul à continuer de revendiquer coûte que coûte une liberté de mouvement, une liberté de se trouver à l'endroit choisi et, le plus important, LA liberté de penser, dessiner, écrire sans fioriture ni réserve.
C'est si joliment écrit... Plein de délicatesse et de détails de l'époque, nous retrouvons des mots, des lieux, des personnes d'un autre temps. C'est tour à tour poétique et efficace, c'est enivrant (comme l'absinthe de ces années-là).
Masseïda est charmante, touchante et nous prend par la main pour traverser cet univers fascinant, tout comme l'a fait Vaillant au début du récit.
Vaillant, d'ailleurs, ce chat si particulier... Ce représentant de toute cette tribu qui a une place à part entière dans l'histoire. Je suis obligée de le reconnaître même si je ne recherche pas la compagnie ni la complicité de cette espèce !!
Quoiqu'il en soit, je suis ravie d'avoir découvert ce livre qui m'a fait voyagé (pas longtemps, certes, car il est malheureusement court), m'a redonné l'envie de me replonger dans cette époque et peut-être même me rendre dans ce quartier pour, sait-on jamais, ressentir l'ambiance et la présence de cette fine équipe.
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