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Messieurs, ne vous approchez pas trop près de Rosario Ciseaux. Cette fille sublime est dangereuse, elle a grandi dans les bas-fonds de Medellín, avec la mort et la violence comme compagnes d’apprentissage. Elle a gagné son surnom en se vengeant à coups de ciseaux d’un sale type qui a voulu abuser d’elle. Recrutée ensuite par les pontes du narcotrafic, elle n’hésite pas à exécuter froidement ses missions, juste après avoir déposé un baiser mortel sur les lèvres de sa victime.
Voilà, Messieurs, cela vous donne une idée de son CV.
Tout cela, Emilio et Antonio le savent bien, et pourtant ils sont fous amoureux de cette fille magnétique et vénéneuse, et ils ont bien failli s’y brûler les ailes. Emilio, c’est celui qui a osé consommé son amour, et qui affiche avec arrogance son statut de fiancé officiel. Antonio, le narrateur, lui, se consume et se berce d’illusions. Il est d’autant plus torturé que c’est à lui que Rosario confie ses semblants d’états d’âme, c’est lui qu’elle a appelé au secours après trois ans sans nouvelles, c’est lui qui attend à l’hôpital où il vient de l’emmener, criblée de balles après une mission foirée.
Et pendant qu’il attend, il se remémore cette descente aux enfers où Rosario les a entraînés, lui et Emilio, les jeux mortels auxquels ils ont accepté de jouer, accros à ses beaux yeux, à la drogue et à l’adrénaline, les tentatives de décrochage avant la coupure définitive des liens trois ans plus tôt, et maintenant ces retrouvailles juste avant l’agonie.
Si Rosario est le personnage principal de cette sombre histoire, la Medellín des années 90 en est la toile de fond, avec sa panoplie de crimes, de violences, de drogues, d’argent et de prostitution. Un cocktail qui ne fait pas bon ménage avec les sentiments, mais qui donne un fameux roman noir. Court, intense, sensuel et fougueux, c’est un beau portrait de femme mais aussi un beau roman d’amour, à la vie à la mort.
Vainqueur du prix international Dashiell Hammett, récompensant alors un roman noir, pour son premier ouvrage, La Fille aux ciseaux, Jorge Franco renoue, avec son dernier livre, Le Monde extérieur, avec les prix littéraires, en recevant le prestigieux Premio Alfaguara de Novela, l’un des prix les plus prestigieux de la langue espagnole. Paru aux éditions Métailié, Le Monde extérieur confirme le talent de son auteur qui nous livre un roman dramatique aux confins du fantastique.
Nous voici à Medellín, en Colombie, une ville que Jorge Franco connaît bien pour y avoir vu le jour en 1962. Le 9 août 1971 est un triste jour pour cette ville, dont la renommée se fera dans la corruption, la violence et la drogue, en devenant le fief d’un certain Pablo Escobar : l’un des plus fameux hommes d’affaires de la région, Diego Echevarría, est enlevé. Une demande de rançon ne tarde pas à être communiquée à la famille, recluse dans une imitation de château français au beau milieu de la végétation ambiante. Grand admirateur de Wagner, Diego voue une véritable adoration à la culture allemande : marié à une allemande pure souche, nommée Dita, il n’hésite pas à affubler leur fille du prénom d’Isolda, tandis qu’il fait venir d’Allemagne une préceptrice, Hedda, chargée d’inculquer à la jeune enfant une éducation toute européenne. Néanmoins, l’enquête autour de son enlèvement piétine, la police ne parvenant pas à trouver une quelconque piste concernant les ravisseurs.
Mono Riascos est quant à lui, un colombien modeste, arpentant les ruelles de Medellín à la recherche d’argent facile pour lui permettre d’entretenir dans le secret un jeune homme dont il est épris. C’est ainsi qu’il met au point un plan qui, sur le papier, est infaillible, rapide et facile, visant à enlever, par défaut, Diego Echevarría et à encaisser la rançon avant de disparaître. Car Mono est fasciné par Isolda qu’il observait, lorsqu’il était gamin, du haut des arbres tandis que la jeune fille trompait sa solitude dans le bois du château, un bois dans lequel elle communiquait avec des animaux étranges et irréels et, ne pouvant enlever Isolda, il devra se contenter du père.
À l’aide d’une narration qui mélange les époques et les lieux, Jorge Franco nous livre une formidable comparaison entre Mono et Diego, deux représentants de classes distinctes : l’un fait parti de cette majorité d’hommes et de femmes qui vivent à Medellín, côtoyant quotidiennement la violence, la drogue et les prostituées tandis que Diego provient d’une famille riche et aisée et qui se forge un nouveau monde, un monde qui baigne dans le romantisme allemand, ignorant la violence qui ronge la population colombienne. Une véritable fracture sociale qui trouve son point culminant dans les confrontations entre les deux personnages – l’un étant nerveux et agressif, tandis que l’autre gardera toujours une sorte de dignité et de calme, découlant de son éducation romantique – et dans la juxtaposition de scènes se déroulant dans le calme feutré du château et l’agitation de Medellín.
Et, plus qu’un roman noir, Jorge Franco rajoute des touches d’humour et de dérision, faisant immédiatement penser à l’esprit des frères Coen et de leur film Fargo : en dépit d’un plan presque parfait, Mono se voit être entouré d’incompétents et perd rapidement son sang-froid face au silence de la famille de Diego qui, quant à eux, engagent un détective privé belge dont l’esprit de déduction va de paire avec un pouvoir médiumnique, une indéniable parodie d’Hercule Poirot, dont le seul mérite est de vivre aux frais de la princesse.
Le Monde extérieur est, au final, un merveilleux croisement entre Les Pieds nickelés, le conte fantastique et la violence qui gangrène la société colombienne. L’écriture de Jorge Franco enchante le lecteur qui plonge dans cette chronique criminelle, rythmée par la vie de Medellín qui plonge inexorablement vers la confusion et le désordre.
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