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Adrénaline fois mille !
« Vert comme l’enfer » est un roman serré comme un café fort.
Un livre d’atmosphère végétale, luxuriante et imprévisible. Dans le cœur même de la Guyane française dans laquelle Isabelle Grégoire pose avec brio ses protagonistes.
C’est un récit sombre, vif, superbe, tiré au cordeau.
Aux mille définitions et dont les degrés sont sans réserve envers le féminin.
Les blessures existentielles, les trahisons furieuses et dévorantes. Ici, la toile de maître dans un pays, dont le visage est un masque.
Isabelle Grégoire écrit en plein pouvoir, comme une ethnologue du verbe.
La maîtrise parfaite d’un langage qui happe et frémit de réalisme.
Deux parties pour un même livre, des croisées d’années, dans le triomphe d’un final où le dénouement imprègne le lecteur pour longtemps.
Ce livre est avant l’annonce fictionnelle, apprenant, sociologique, géopolitique, psychologique et au plus près de l’humain et de ses manichéennes attitudes et pensées.
On y découvre une nature hostile, d’enfer. Un bagne où d’aucuns ne pouvaient s’échapper à moins de mourir. Les geôles où même les femmes pauvres étaient enfermées et abandonnées à leur sort. Des vols de pain face aux murs épais et murailles devenues.
L’idiosyncrasie de la Guyane française des années 1980 à aujourd’hui. Les vols d’enfants à des fins d’adoption pour les femmes blanches de la métropole.
La Guyane écorchée vive par les affres des inégalités, en pleine révolte mentale.
Isabelle Grégoire lance les dés.
Alice, 1980. Elle quitte son mari qui l’a trahie avec sa propre sœur Valérie. Elle part pour la Guyane. Un échappatoire guidé par sa soif d’apprendre de l’autre, du méconnu. Comprendre les diktats et les intimités d’un bagne si emblématique.
Pas longtemps, le temps des vacances scolaires. Alice est enseignante.
Sauf que rien ne va se passer ainsi. Nous sommes dans le cœur même des noirceurs de l’âme humaine. Alice tombe dans le piège d’un homme, le guide de son périple. Il est machiavélique, pervers narcissique, et Alice va immanquablement devenir son bouc-émissaire, l’exutoire des frustrations de ce guide fourbe.
Jusqu’à l’ultime. Taire la suite.
Trente ans plus tard, Flora dont le métier est de protéger les femmes fragilisées, battues, désire visiter la Guyane. Retrouver ses racines lianes, parabole de la jungle d’enfer. Elle apprend peu après le décès de sa mère, les causes profondes de son adoption. Son père médecin vit en Guyane avec une très jeune femme et un jeune fils. Elle comprend alors la double trahison de son père. Elle ignorait cet enfant, son petit frère.
Divorcés depuis longtemps, ses parents vivaient éloignés à mille mille. Flora a vécu au Québec avec sa mère. Elles s’aimaient mais mal. Le fleuve gorgé de non-dits. Dans le pressentiment d’un choc généalogique. « Vert comme l’enfer » est le portrait sensible des cheminements intérieurs. La quête des identités, les blessures insondables d’un guide dont sa propre grand-mère a été enfermée dans le bagne de l’horreur.
Ici, tout se recoupe avec finesse et habilité. La connaissance suprême de la Guyane comme un voyage littéraire à contre-courant. Dans l’exactitude même d’une terre meurtrie dans sa chair.
Alice et Flora, dont les mystères vont faire saillir avec force les émotions, les pouvoirs d’un texte sublime et si profondément sensible.
Au travers du filigrane de « Vert comme l’enfer », s’agite un thriller vertigineux, frénétique et magnétique.
Dans les prouesses des psychologies éprouvées, le pas de côté et le chemin de traverse, qui mènent à l’enchantement d’une réponse à la naissance. L’identité, le passeport de survie.
Une fresque fondamentale.
Publié par les majeures éditions Québec-Amérique.
Isabelle Grégoire avec ce roman court, une femme, le Québec, le froid, une tempête, les mines, l'isolement et la misogynie.
Marie pionnière dans la conduite des trains, circule de Sept-îles sur la côte nord du Saint-Laurent à Schefferville cité minière à la frontière du Labrador, lors d'une tempête elle percute un orignal blanc et plusieurs wagons déraillent, au loin elle croit voir une ombre d'un géant.
Une belle histoire haletante, psychologique entre conscience et inconscience de la protagoniste Marie, une ambiance dense, le récit est incisive, des péripéties et des flashbacks.
On aborde aussi l'écologie, la famille, l'amour et l'amitié. Des tensions entre les autochtones et les autres. Une aventure, un voyage, un thriller.
"Ce que je vois en rouvrant les yeux est plus glaçant que l’hiver de la Côte-Nord. Mon haleine se fige dans le soleil froid. L’orignal blanc est là, juste devant la fenêtre. La bête que j’ai écrasée sous les roues de mon train me dévisage de ses yeux vides d’où s’écoulent des larmes rouges."
Partir pour un nomade, ce n’est jamais fuir, c’est plutôt rester en quête.
Jean Désy.
« Ma nuit a été courte et les trois cafés n’y changeront rien… La voie ferrée s’est effacée. »
D’emblée l’incipit donne le ton. « Fille de fer »est un roman serré comme un café fort. Virtuose de sensations et de signaux, on pourrait presque dire qu’il s’agit d’un thriller. Eh bien non. L’ ambiance est certes crissante, l’évènementiel vertigineux, mais l’enjeu de ce livre est le dépassement de soi. Bien au-delà,une femme rayonne dans ce livre aux pouvoirs multiples. Marie.
« Fille de fer » est une fiction écologique, évocatrice, féministe et engagée dont la maîtrise est superbe. Nous sommes en transmutation dans le Nord québécois. Marie est conductrice de train minier. C’est la première fois qu’elle conduit un train de plusieurs kilomètres de long, c’est la nuit et elle est seule.
Une tempête se lève subrepticement.
« Dehors, toujours rien d’autre que du blanc, du blanc... »
La solitude pour armure, les pensées qui se chevauchent sur une réalité imprévisible, Maris aime la fuite, soupape de sécurité, « Au bout du monde et au bout du Québec »
Brutalement, le convoi déraille, les wagons se couchent sur les flancs de neige et de torpeur.
« Freins d’urgence appliqués. Fuck ! Je n’avais pas besoin de ça ce soir. Je dois marcher mon train, comme on dit dans le métier : près de cinq kilomètres aller-retour, deux bonnes heures, pour vérifier mes deux cent quarante wagons. »
Marie avance, torche en main, rigoureuse et inquiète. Brusquement elle tombe, « sa cheville craque comme du bois mort. »
Seule et vulnérable dans le glacé d’une nuit éprouvante, le drame démultiplié. Elle est secourue par un homme. Elle ne perçoit que le flou d’une situation périlleuse.
Que faisait cet homme en pleine nuit de tempête en pleine forêt à mille mille de toutes terres habitées ?
Recueillie par son sauveur, un grand gaillard étrange et énigmatique, dans son manoir gorgé de livres. Ce qui rassure quelque peu Marie. Elle cherche ses repères. Se laisse soigner pour partir plus vite de ce lieu quelque peu sauvage . Elle pressent un hôte secret, aux habitudes de solitaire, aguerri au spartiate et à l’autarcie. De fil en aiguille une relation s’instaure entre « le Géant » et Marie. Néanmoins, elle se questionne sur le silence oppressant de la Compagnie. Pourquoi ne viennent-ils pas la chercher ? Le Géant-Melville reconduit Marie après un long temps de convalescence et l’insistance de Marie qui veut retrouver ses collègues masculins. Son retour est semé de réflexions, de doutes, et de soulagement aussi pour certains d’entre eux.
Seule femme, dans un corpus au pouvoir de virilité impressionnant, dont le machisme est roi. Marie joue des coudes et affronte les coups bas sans baisser les yeux. La camaraderie se compte sur les doigts d’une main. Marie va revoir Melville, un peu, beaucoup, passionnément. Le récit se resserre sur les enjeux environnementaux. Marie transporte du fer. La mine est controversée. Melville est-il véritablement cet homme des bois, tel un ermite ?
Hypnotique, entre une héroïne battante dont on envie sa quête de réalisation, la beauté d’un langage dont on aime l’exploit de transmutation, la nature qui ensorcelle le livre même. L’évasion et la découverte d’un Québec blanc, ici, tout est charme et adrénaline.
Contemporain, sociétal, Fille de fer est magistral et une valeur sûre. Isabelle Grégoire est douée. L’art de faire un roman avec du vrai. Apprendre à se surpasser et briser les carcans et les préjugés. Telle est la clé.
Publié par les majeures éditions Le Mot et le Reste.
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