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A la fin de 1912, Giorgio De Chirico (1888 – 1978) écrivait : « Une œuvre d’art vraiment immortelle ne peut naître que par révélation ». Il résumait par ces mots l’ambition et les moyens qui furent à l’origine de la peinture dite « métaphysique. » Les éditions Echoppe ont, en 1994, réunis divers textes de l’artiste italien, né en Grèce, et confié la présentation à l’historien d’art, Giovanni Lista. Des textes inédits (car manuscrits), des textes édités dans diverses revues, rassemblés en deux parties bien distinctes, car très différents. Les premiers, les manuscrits, écrits entre 1911 et 1913, furent donnés par Giorgio De Chirico au poète français Paul Eluard qui, au petit bonheur la chance, les fit relier sans se soucier de chronologie. En 1939, Eluard les donne à Pablo Picasso. Ils sont aujourd’hui au Musée Picasso de Paris. Par une étude philologique intense, ils ont été remis en un ordre exact. Si bien qu’à la lecture, le sentiment d’être en présence d’une pensée / œuvre en construction s’impose petit à petit. Le lecteur comprend que De Chirico, frère d’Alberto Savinio, a très lentement élaboré, au prix de maintes hésitations, une esthétique et une théorie de l’art. Mais tout cela est balayé dans les textes écrits par après (entre 1918 et 1919) dans lesquels il nous dit : «Personne n’a tenté avant moi ce que j’ai tenté en art. Mon œuvre marque une étape formidable dans l’évolution et le complexe engrenage de la création artistique. » Nous avons donc dans cette « anthologie métaphysique » deux bornes et, entre les deux, un parcours artistique. Parcours que commente Giovanni Lista dans une très utile introduction. Il nous y rappelle à quel point, pour De Chirico, « la matrice spirituelle du sentiment métaphysique du monde est faite du singulier mélange entre les débordements de l’imagination et la maîtrise glaciale de la géométrie, entre l’exaltation visionnaire d’une page de Nietzsche et le souffle d’éternité d’une fresque de Piero della Francesca. »
Comme toute forme de modernité, la peinture métaphysique est donc le résultat d’une tension entre tradition et modernité, car c’est là, dans cette tension, que naissent réflexion esthétique et pratique picturale. Alors que le futurisme triomphant affirme qu’il n’existe de salut pour l’art que dans la politique de la terre brûlée, (faire table rase du passé), Giorgio De Chirico, bien au contraire, fonde toute sa démarche sur un dialogue permanent avec les peintres anciens dont il eut la « révélation ». Persuadé que le monde est irrémédiablement incompréhensible, opaque, il demande à la peinture de parvenir à prendre en charge cette énigme. Et, pour cette raison, il s’éloigne de toute forme de réalisme, et refuse le credo cubiste de connaître le monde en l’observant. Il écrit : « Il y a bien plus d’énigmes dans l’ombre d’un homme qui marche au soleil que dans toutes les religions passées, présentes et futures. » Mais, ne le dit-il pas lui-même, ces énigmes sont déjà présentes dans certaines peintures de la Renaissance italienne. Comparez n’importe quelle des vues de places d’Italie peintes par De Chirico avec les vues urbaines de Fra Carnevale, de Piero della Francesca ou de Luciano Laurana et les racines de la peinture métaphysique vous seront évidentes.
La peinture métaphysique, symptôme du surréalisme ultérieur, est un art de l’extase, de la fascination pour le mystère du monde, mystère révélé et non expliqué. La peinture métaphysique n’est pas rationnelle. Elle est le fait de l’artiste extralucide, le voyant qui perce les apparences pour toucher à l’inconnu. Giorgio de Chircio, lecteur de Friedrich Nietzsche et d’Arthur Rimbaud, abandonnera ce « dérèglement des sens » pour se convertir à un style néoclassique (puis néoromantique et néobaroque). Loin, très loin, de l’énigme du monde...
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