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Le personnage principal de ce roman est une maison, Séléné, construite sur les bords de Marne à la fin du XIXème siècle. Une maison dont on va suivre l’évolution au fil des ans et des arrivées et des départs de ses différents propriétaires ou locataires. On va donc y croiser le premier propriétaire Célestin Mercier, retrouvé pendu. Félix Méry-Chandeau, joueur de roulette russe qui finira empoisonné par sa domestique. Claire Pons, peintre inspirée par des visions. Un déserteur allemand et des émigrés juifs. Un couple homosexuel propriétaire d’un perroquet. Des sœurs féministes et un exhibitionniste. Un égyptologue et un jeune homme atteint du SIDA. Au total cent ans d’une histoire hantée par le fantôme du premier propriétaire, ou plutôt par les apparitions de sa mallette qui semble chaque fois annoncer un nouveau drame. Le temps de traverser deux guerres et les bouleversements du monde vus depuis cette propriété qui semble se délabrer au fur et à mesure des ans et du désintérêt de ses habitants.
Ce qu’il y a de fabuleux dans une vie de lecteur c’est qu’on n'en a jamais fini de faire des découvertes. Alors que 2020 marquait la date du centenaire de sa naissance, je n’avais jamais lu aucun des livres de Gabrielle Wittkop. Voilà qui est réparé avec ce roman jusque-là inédit et publié chez Christian Bourgois Editeur.
Je vais l’avouer tout de suite je me suis demandé, à la lecture des premières pages, dans quel univers étrange j’avais été catapultée. Avant de me laisser totalement envoûter par cette histoire pleine d’un humour noir et d’une ironie mordante. Chaque personnage semble être pour Gabrielle Wittkop l’occasion de mettre le doigt sur les petits et grands défauts des êtres humains. Prenant le prétexte d’une malédiction liée à la mort de Célestin, l’auteure nous raconte des vies gâchées, perdues et l’inexorabilité du temps qui passe. Mais tout cela avec une certaine jubilation et avec une causticité tout à fait délectable.
Et que dire de cette écriture à la fois très belle mais aussi très exigeante, une écriture tout en élégance, d’une grande précision, extrêmement travaillée qui décrit avec une profonde acuité l’histoire humaine et celle des pierres. C’est parfois dur, à la limite du supportable, souvent féroce et sarcastique mais toujours très juste et assez drôle même si on peut être amené à rire légèrement jaune. Un excellent moment de lecture en ce qui me concerne. On dit que ce roman est un des plus “légers” de l’auteure, je suis curieuse de voir ce que peut donner un texte encore plus intense.
Hemlock fait partie de ces livres dont on s'arrache avec difficulté, que l'on ne sait pas vraiment terminer tant son atmosphère, ses personnages vous imprègnent, vous accompagnent longtemps et vous subjuguent. Je n'en avais jamais entendu parler, ni de Gabrielle Wittkop, grave lacune. Une fois le roman dévoré (mais pas encore tout à fait digéré), je me suis plongée dans le long article que consacrait Liberation à son auteure qui aurait eu cent ans cette année, ce qui explique les rééditions de certaines de ses œuvres dont Hemlock qui n'étaient plus disponibles depuis trente ans. Quelle brillante idée ! Gabrielle Wittkop est aussi fascinante que ce roman, et le fil de sa vie irrémédiablement lié, entremêlé à sa production littéraire.
Hemlock est l'héroïne centrale de ce roman, dont les réflexions et les moments de vie s'insèrent entre les chapitres d'une histoire construite avec des récits gigognes qui se répondent, se complètent et reviennent tous à la question centrale qui préoccupe (devrais-je dire obsède ?) Hemlock : la mort. D'ailleurs, en anglais Hemlock signifie "cigüe". Le mari d'Hemlock, H. est atteint d'une maladie neurodégénérative, situation qu'elle supporte difficilement autant par l'amour qu'elle porte à H. que pour la façon dont cela entrave sa propre liberté. Elle voudrait qu'il meure et elle n'en supporte pas l'idée. Hemlock s'échappe parfois, voyage dans le monde entier et croise ainsi par-delà les siècles, à travers les endroits où elle séjourne, les destins d'autres femmes étroitement liés à la mort. Des empoisonneuses célèbres : Béatrice Cenci au 16ème siècle à Rome, la marquise de Brinvilliers au 17ème siècle à Paris et à Londres et Augusta Fulham à la fin du 19ème siècle et début du 20ème à Londres puis en Inde. Elles ont tué pour se libérer du joug paternel ou conjugal, elles ont empoisonné à petit feu, elles ont été condamnées et exécutées. Ce sont ces trois histoires qui s'enchaînent et s'emboîtent dans ce roman, ponctuées par les réflexions d'Hemlock ou ses échanges avec H., autour des destinées, de l'amour, de la liberté et de la mort.
"Je suis née dans une maison hantée, je suis moi-même pleine de fantômes".
Dans ce roman, Gabrielle Wittkop développe une monstrueuse puissance littéraire, autant par son univers que par la qualité de son écriture et l'intelligence de sa trame narrative. Trois lieux, trois époques et à chaque fois, le lecteur est totalement immergé dans un décor qui se referme sur lui par tous les sens ; les descriptions sont à couper le souffle, qu'il s'agisse des rues de Paris, des bords de la Tamise, des scènes de torture, des avortements, des accouchements ou des exécutions capitales.
"La ville sentait le gruau, la cendre, la marée et le suif des chandelles. C'était une odeur froide et lourde qui collait sur les choses, avec aussi des fadeurs de sang et la noire suavité des pourritures, une haleine transportée par la fumée du charbon et le gros brouillard jaune qui par la Tamise montait des marécages. Entre les carrosses, les chaises, les troupeaux, les charrois, la foule déversait son fleuve tumultueux dans le chenal des rues".
Le lecteur est embarqué, spectateur fasciné par les drames qui se déroulent sous ses yeux, par la chaîne du mal qui se tisse au fil des siècles, les destins qui semblent se répondre, s'entremêler, les passerelles sans cesse tendues par l'auteure par le truchement d'un tableau, d'un livre, d'un bijou ou d'une chambre. Et toujours, ce lancinant débat dans l'esprit d'Hemlock face à son amour désormais indissociable de la mort, de l’ambiguïté de ses sentiments, de la mémoire qui se délite en engloutissant les millions d'instants qui composent une vie commune. C'est fort, c'est puissant, c'est impressionnant.
Pour moi, Hemlock est un chef d’œuvre et je me sens bien chanceuse de l'avoir désormais dans ma bibliothèque.
(Chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
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