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« Samuel Goldblum se vit congédié, sans autre forme de procès, de la maison d’édition prestigieuse où il avait fourbi ses armes de plumitif, quinze ans durant. Le coup était rude. » Pour le narrateur du nouveau roman de Frédéric Chouraki, le temps de la remise en cause est venu. L’ère du dilettantisme dans son quartier du Marais, de l’indolence du juif homosexuel, des aspirations à vivre de sa plume sont révolus. Pour être bourgeois bohême, il faut des moyens qu’il n’a plus. Il doit désormais se poser des questions existentielles. A-t-il encore sa place «au sein de ce paysage régi par l’écume des choses, les postures et la médiatisation spectaculaire» ?
Le départ d’un ami vers les Etats-Unis va l’empêcher de tergiverser bien longtemps. Sans perspectives et sans argent, il décide de le rejoindre à Williamsburg, un quartier de la grande pomme. Où l’Amrican dream se transforme très vite en galère noire. Il n’est pas vraiment bienvenu au sein de la colocation et doit trouver au plus vite un emploi. Par exemple plongeur au Ciao Ragazza, une pizzeria où il trime comme quatre. « Il n’était plus un romancier prometteur, mais un robot des temps modernes, une victime du fordisme nouvelle vague. »
Aussi n’est-il guère étonnant que Samuel préfère rendre son tablier que de mourir d’épuisement et poursuivre ses errances.
Le miracle se produit alors qu’il croit avoir touché le fond, sous la forme d’un « croisement improbable entre la chanteuse yiddish Talila et la renarde de Mary Webb. » Rebecca va prendre le jeune Français sous son aile protectrice et l’inviter à partager le gîte et le couvert au sein de sa famille très religieuse, au moins en apparence. « Il venait à peine de renaître au monde et voilà qu’une rousse affriolante lui octroyait, dans un français à la Jane Birkin, un cours de Talmud Torah. »
La beauté et l’entregent de la jeune femme auront à la fois raison de son homosexualité et de ses réticences. Elle s’offre à lui, une nuit de pleine lune et trouve dans le sexe bien des vertus. Après avoir goûté et regoûté à la chose, Sammy se dit qu’un piège va se refermer sur lui et prend à nouveau la poudre d’escampette. Exit la famille Berkovits. Bienvenue Brooklyn, dernière étape pour notre juif errant. Car si la vie coule ici au ralenti, comme « une pâte visqueuse au goût artificiel.», Samuel sent bien qu’un nouveau miracle est sur le point d’éclore : «Il était un feu de joie en puissance, le calme trompeur avant l’orage. »
On ne dévoilera pas la forme de ce nouveau miracle, la couverture du livre étant de ce point de vue un indice éclairant. Et s’il ne devait suffire, rappelons que quand notre exilé avait du vague à l’âme, « il se replongeait dans le Big Sur de Kerouac, le Kaddish de Ginsberg ou dans La Machine molle de Burroughs et décollait littéralement du sol. »
Avant de reprendre l’avion vers la France, Samuel Goldblum aura parachevé son initiation. Après avoir bu «à la source première du héros de sa jeunesse» il aura les armes qui lui manquaient pour son grand œuvre !
Et Frédéric Chouraki qui, contrairement aux apparences, ne s’est pas gouré d’époque pourra nous offrir un roman dense et riche, joyeusement désespéré et lucidement déglingué. http://urlz.fr/4TnJ
Frédéric Chouraki, auteur, entre autres, de Jacob Stein ou De l'inconvénient d'être juif quand on est blond aux yeux verts (le dilettante, 2002), est féru de mystique juive.
Fred Bronstein est "nègre pour des romans pédés à l'eau de rose". Depuis sept mois il sort avec Popeline, une rousse démoniaque. "Si son faîte est un oriflamme, le reste de son corps tient davantage du gisant. Sa folle séduction naît assurément de ce contraste". Elle a accepté de l'accompagner chez ses parents pour célébrer le Yom Kippour, «jour du Grand Pardon», où les juifs du monde entier jeûnent une pleine journée pour expier leurs péchés de l'année. "Au menu : interdiction de tout (travailler, écrire, baiser, médire, allumer la télé) hormis l'auto-flagellation mentale et penser à Dieu autant que possible". Popeline, qui a été élevée dans une bourgade des Landes, à l'ombre de pins géants et virils, a accepté, non pas par amour pour Fred, ni pour Yahvé, mais "pour perdre des fesses". Elle a souvent rêvé de ce Yalta avec la mère de Fred. «J'espère de tout mon coeur qu'elle va me détester.» Elle arrive chez les parents de Fred avec la chevelure relevée en choucroute, un chemisier en soie outrageusement décolleté, un pantalon en Skaï moulant comme une second peau, d'hétérodoxes cuissardes de Hells Angel et les doigts couverts de bagues fantaisie bon marché. En l'amenant ainsi chez ses parents, Fred a bien l'intention de "régler son compte par rousse interposée avec une ascendance étouffante".
C'est très drôle, les dialogues effilés et corrosifs crépitent, les bons mots valsent à mille temps, l'esprit, surtout le mauvais, souffle en rafales, les traditions sont secouées vertement, les personnages férocement croqués, et la sexualité - merci Popeline - débridée.
Burlesque, loufoque, hilarant. Irrésistible.
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