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A la fin du livre, Daniele Daniel parle de l’écriture de son roman comme d’une « expérience à la fois profondément spirituelle et terriblement douloureuse » Car cette histoire la hantait, l’histoire de son aïeule maternelle, Marie, une indienne de la tribu des Algonquins, peuple du cerf.
Marie est née en 1631, en Nouvelle France, où les colons français grignotent peu à peu le territoire, imposant leurs règles et leur religion. Pour que survive son peuple décimé par les Iroquois, le Sachem du peuple des Algonquins décide de faire alliance avec les français pour avoir leur protection. C’est ainsi que les femmes du peuple du Cerf épousent des colons français, et Marie, veuve d’un Algonquin, épouse Pierre, catholique dévot. Ils s’installent comme fermiers et auront sept enfants.
L’histoire aurait pu être banale, retraçant à travers le destin de Marie celui de ces femmes « sauvages » qui n’eurent jamais les mêmes droits que les femmes blanches. Mais l’auteure met en scène l’histoire de l’ainée de la fratrie, Jeanne, dont l’homosexualité va choquer et bousculer l’ordre de la petite colonie de fermiers. Il faut savoir que chaque jeune fille devait convoler à partir de ses dix-sept ans, leur seul destin étant le mariage et la maternité. Sinon, il fallait payer une amende. Jeanne, issue de deux cultures qui s’affronte, a du mal à trouver sa place
« Pour Jeanne, être à moitié blanche et moitié indienne, moitié française et moite algonquine, c’est comme l’éclosion simultanée de l’hiver et de l’été. »
Deux cultures, deux visions différentes de la vie s’affrontent. Les peuples autochtones, plus tolérants, vivent en harmonie avec la nature, ne prélevant que ce dont ils ont besoin pour vivre. Ils écoutent les esprits et respectent le chaman. Tandis que les colons, sous la férule des jésuites, cherchent à faire table rase de ces superstitions et croyances en imposant leur propre religion. La liberté sexuelle est proscrite, le salut est dans le mariage et la famille.
Marie, docile en apparence, garde ses croyances
« Ils ont torturé nos frères et nos sœurs qui avaient le malheur de s’éprendre d’un homme ou d’une femme qu’ils n’étaient pas censés aimer. …Les prêtes affirmaient que notre peuple était sous l’influence du diable. Ils n’ont jamais compris qu’aux yeux des miens, le monde des esprits s’exprime par la voix de ceux qui sont différents. »
Danièle Daniel a su faire revivre une civilisation oubliée, celle de ces ancêtres. A travers l’histoire romancée de sa famille, elle montre la violence de la colonisation et ses conséquences néfastes sur la transmission des cultures. A travers Marie, Madeleine et Jeanne, elle raconte l’intimité et la condition des femmes, et on sent l’empathie et l’admiration de l’auteure pour ces femmes courageuses qui ont dû se plier aux lois des colons blancs.
Si l’intrigue suit les méandres de l’histoire du Nouveau Monde, et de ses conséquences dévastatrices, j’ai été déçue par l’écriture qui manque d’envergure.
« Mon père m’a dit un jour qu’avant ma naissance, aucun homme blanc n’avait foulé notre terre, qu’il n’y avait pas d’église près de notre village, ni de soutanes qui rôdaient autour de nos wigwams en ânonnant d’interminables prières. Avant l’arrivée des blancs, nos seuls ennemis étaient les iroquois, qui avaient contraints mes parents à quitter leur territoire ancestral au nord de la rivière des Outaouais pour se mettre en quête d’un lieu sûr. C’est dans ces circonstances que les miens s’étaient établis à côté de la colonie que les Blancs appelaient Trois-Rivières. »
Ce livre est l’histoire romancée des ancêtres de l’autrice et quelle histoire !
Marie, algonquine, est veuve d’Assababich tué lors d’une attaque des iroquois qui lui ont pris de force ses deux enfants. Maintenant le clan du Cerf, très clairsemé, s’installe à Trois Rivières près des Blancs.
Commence une pression réelle sur les natifs par les catholiques français. Le Sachem de la tribu demande aux femmes d’épouser des colons français et ainsi, se mettre en sécurité. Marie épouse Pierre, ils auront plusieurs enfants. Marie, malgré son prénom catholique reste une chrétienne « d’extérieur » et garde la foi apprise avec sa tribu et n’oublie jamais les petits gestes pour remercier la terre, la rivière…. Ceci n’est pas bien vu par les prêtres et autres grenouilles de bénitier. D’ailleurs, elle ne manque jamais de rappeler à Pierre d’où elle vient « N’est-ce pas ce que font tous les Blancs, nous voler ? ». Les Blancs marient leur fille vers dix-sept ans, l’âge de la fille aînée du couple « La loi veut qu’elle se marie, c’est son devoir ». Son amie de cœur a été mariée à un vieux, mais cela n’a aucune importance, c’est normal… On ne va pas lui demander son avis n’est-ce-pas ?
Pierre a la foi chevillée au cœur et au corps et va même jusqu’à se flageller pour exorciser le pêché entré dans sa maison par l’homosexualité de sa fille.
Pourquoi les blancs ne se contentent-ils pas de préempter dans la nature que ce qui leur est nécessaire à la vie quotidienne. Non, ils tuent les animaux pour en revendre la peau et maintenant, Pierre et Jacques (marié à la meilleure amie de Marie), doivent faire de longues expéditions pour rapporter de quoi manger.
Le couvent « accueille » de jeunes indiennes pour les éduquer dans le bon sens et « faire d’elles de bonnes épouses catholiques pour les colons. Elle a entendu dire que les religieuses cloîtrent les filles dans le couvent et les font obéir à coups de badine. Il parait que les pensionnaires se laissent dépérir. » Une longue déconstruction de leur civilisation, une emprise psychologique sur des êtres sans défense, c’est la loi, toujours en vigueur, du conquérant
Danièle Daniel dépeint un choc violent entre deux cultures où chacun a besoin de l’autre pour survivre où les français cherchent à détruire la société animiste des algonquins pour la mettre au service de leur dieu catholique. Nous sommes au XVIIème siècle, mais… Cela a-t’il tant changé ? La religion ne sert-elle pas encore de levier pour réduire des populations à la pauvreté, les détruire ?
Danièle Daniel met en avant Marie, guérisseuse qui, même mariée à Pierre catholique convaincu ne plie jamais et n’abandonne pas sa propre vue qu’elle transmet à ses enfants et sa fille Jeanne, deux destins tragiques
Un très beau portrait de femme. «Quelques mots sont gravés dans la pierre qui marque l’endroit où elle repose. Une femme sauvage – décès, 1699 » Lui dénier, jusque dans l’éternité son identité. Malheureusement rien n’a changé en ce bas-monde.
Une très belle découverte que je dois à mes libraires préférées
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