#RL2016 : 560 romans à paraitre, nos #Explolecteurs vont en dévorer 50, venez les découvrir ici !
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On avait beaucoup aimé le précédent opus de Cédric Gras qui nous contait l'enthousiasmante et folle équipée des Alpinistes de Staline, les frères Abalakov qui, dans les années 30, avaient reçu comme mission d'aller planter le drapeau rouge sur la plupart des sommets d'Asie Centrale.
L'écrivain voyageur remet le couvert avec une suite ma foi fort logique : les Alpinistes de Mao, "une épopée similaire, inconnue, tragique, bouffie d'idéologie et malgré tout héroïque".
Le contexte :
Dans les années 50 la Chine envahit le Tibet et quelques camarades reçoivent la mission de porter le buste de Mao sur le sommet du Tibet récemment conquis, le sommet de la Chine Populaire encore toute jeune (elle fête son dixième anniversaire), bref sur le sommet du Monde : le Qomolangma, la déesse de l'univers, que ces infâmes droitiers de capitalistes avaient baptisé Mont Everest pour glorifier l'arpenteur général des Indes Britanniques.
Les camarades sélectionnés par le Grand Timonier n'y connaissent rien : ils n'ont jamais randonné, jamais tenu un piolet ni chaussé des crampons, jamais pratiqué ne serait-ce qu'un peu de varappe.
Qu'à cela ne tienne, pour mettre sur pieds ce "groupe d'élite hautement novice" on demandera un peu de formation et un peu d'équipement au Grand Frère Soviétique.
Assurément, un peu d'entrainement et beaucoup de fanatisme maoïste ne pourra que conduire les camarades et le Parti à la gloire lorsqu'ils réussiront l'ascension de l'Everest (pardon, du Qomolangma) par la face nord, celle du Tibet, une première puisque c'est cette fameuse face nord qui a vu périr les alpinistes britanniques George Mallory et Andrew Irvine en 1924.
[...] Ils partent de très loin, de zéro en vérité. C'est peut-être toute la beauté de leur épopée.
♥ On aime :
• On apprécie le fastidieux travail réalisé par l'auteur : contrairement à la précédente aventure des grands frères russes, il n'existe que très très peu de témoignages de cette épopée maoïste. Des rapports officiels bouffis de propagande maoïste, quelques sources russes, quelques rares photos, ...
Mais il en fallait plus pour arrêter Cédric Gras !
• Dans son précédent ouvrage, Cédric Gras nous donnait en filigrane tout le déroulé de la terrible dérive stalinienne. Cette fois nous allons suivre l'invasion du Tibet en direct : les chinois se lancent à l'assaut de l'Everest en 1960, juste un an après le soulèvement tibétain de 1959 et la terrible répression qui s'en suivit.
L'auteur sait s'effacer derrière son sujet et ses héros et nous livre un passionnant feuilleton à multiples rebondissements alpins, culturels et politiques. Dans ses romans, Cédric Gras nous parle de "la montagne certes, mais comme belvédère sur une époque fascinante".
• le manque de sources et la surabondance de propagande font que les personnages ne peuvent être que dessinés à gros traits, le récit n'a pas le parfum d'aventure de l'épisode russe précédent. Heureusement la prose de Cédric Gras est toujours aussi lumineuse et agréable : sa plume parvient à faire de tout cela un formidable document sur une région et une époque mal connue.
Le pitch :
En 1960, après quelques tentatives mitigées sur des sommets moins prestigieux, c'est une gigantesque expédition d'état, encadrée par l'armée, qui se lance à l'assaut du sommet mythique. Des centaines d'hommes, plusieurs dizaines d'alpinistes (même s'ils sont jeunes et pour le moins inexpérimentés !), des scientifiques, des centaines de porteurs, des camions de ravitaillement, une logistique à l'échelle du pays, ...
Ils seront plusieurs dizaines à dépasser les 8.000 mètres, c'est déjà un record.
Et bientôt la nouvelle tombe :
[...] Wang Fuzhuou, Gonpo et Qu Yinhua de l'équipe d'alpinisme chinoise ont atteint le plus haut sommet du monde à 4 h 20 le 25 mai 1960.
[...] L'agence officielle Xinhua clame : « le mythe de l'impossible voie nord de l'Everest a volé en éclats ! »
Mais aucune preuve ne pourra être présentée, aucune photo, aucun vestige supposé laissé sur place ne sera retrouvé plus tard. Les récits sont confus et peu cohérents, la propagande et la censure prennent le relais.
Alors que s'est-il réellement passé là-haut ?
Lorsqu'ils redescendent du toit du monde, c'est une dure réalité qui les accueille : la Chine est sinistrée dans un catastrophique grand bond en avant et va bientôt basculer dans le chaos d'une révolution culturelle.
Les chefs d'expédition Xu Jing et Liu Lianman vont bientôt partir en rééducation, le Parti n'est guère reconnaissant envers ses héros.
Il faudra attendre la fin des troubles politiques pour qu'en 1975, une nouvelle méga-expédition envoie une dizaine d'alpinistes, dont une femme, jusqu'au sommet : et cette fois, ils ont emporté leur appareil photo, histoire de faire taire les doutes et les médisances capitalistes sur l'expédition de 1960 !
Pour celles et ceux qui aiment les montagnes.
Après Alpinistes de Staline, Cédric Gras a bien fait de s’attaquer à un autre monument en rédigeant Alpinistes de Mao, même si la pente était encore plus rude…
Autour de l’assaut du mythique Everest, le toit du monde, il permet de retracer des années de l’Histoire du géant chinois, au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
Cédric Gras établit d’abord un constat : l’alpinisme ne fait pas partie des activités pratiquées en Chine populaire, au début des années 1950. Si l’Everest attire, il se situe au Tibet pour sa face nord et le peuple tibétain, s’il est adapté à l’altitude, n’est pas motivé pour grimper vers les sommets. D’ailleurs, beaucoup de superstitions, de croyances et de peur de l’inconnu font que l’alpinisme effraie au lieu d’attirer.
La transparence ne faisant pas partie des traditions du régime chinois, le travail de recherche de Cédric Gras a été long et fastidieux. Il a dû recouper le peu d’informations récoltées, se rendre sur place, vérifier le plus possible et se méfier beaucoup de la propagande car cette conquête de l’Everest a d’abord une visée politique. C’est une conquête ultra-nationaliste.
Alors, Cédric Gras me fait rencontrer les premiers alpinistes chinois comme Xu Jing qui a grandi dans un pays en guerre. Comme les deux géants communistes ont plutôt de bons rapports, en 1955, c’est en Union soviétique qu’il va se former avec trois autres membres du Parti Communiste Chinois qui, comme lui, n’ont jamais vu ni glacier, ni paroi verglacée. Evgeni Beletski est leur formateur et ils commencent à collectionner des sommets à plus de 6 000 mètres, en URSS.
Ensuite, Xu Jing sélectionne ceux qui vont tenter l’aventure et retient d’abord Liu Lanman qui vient de Mandchourie. L’auteur me fait connaître chaque élément essentiel, futurs Alpinistes de Mao, comme Shi Zhanchun.
Dans le Tibet oriental, ils font route vers le Shichuan avec pour objectif le Minya Konka (7 556 m). Sont-ils bien accueillis ? Pas sûr. Au Tibet, tout le monde n’apprécie pas l’occupation chinoise et les Khampas mènent la guérilla. De plus, les conditions climatiques jouent un rôle important pour le succès ou l’échec de chaque expédition.
Cédric Gras cite ses sources et parle de ses recherches qui me rapprochent insensiblement de l’assaut de l’Everest. Le dixième anniversaire de la République Populaire de Chine est une bonne motivation. Tout au long du livre, de très intéressants rappels historiques sur l’annexion du Tibet permettent de sortir de l’oubli quantité de malheurs apportés par une idéologie totalitaire et un endoctrinement extrême.
Alors, il faut suivre les quatre batailles menées pour tenter d’arriver au sommet de ce Qomolongma, comme on appelle sur place l’Everest. Le monastère de Rongma sert de camp de base puis d’autres sont installés de plus en plus haut. Après tant de souffrances et de tentatives avortées, le 25 mars 1960, à 4h 20, heure de Pékin, Wang Fuzhuou, Qu Yinhua et le tibétain Gonpo sont au sommet alors que Liu Lanman a dû rester un peu plus bas. Cédric Gras fait bien vivre doutes et souffrances, espoirs et conditionnement de ces hommes qui ont juré fidélité à Mao. Plus tard, Phando, une tibétaine, sera la première femme à grimper jusqu’au pinacle de l’Everest, face nord… après la japonaise Junko Tabei… onze jours plus tôt, le 16 mai 1975, par la face népalaise !
Les versions de ces exploits diffèrent et l’auteur propose un questionnement intéressant, un débat bien étayé avant de dresser un panorama politique de la Chine populaire à la fin des années 1960. Grand bond en avant, Gardes rouges, la population chinoise est victime de famines, d’une répression aveugle et les morts se comptent par centaines de milliers. Les héros du 25 mars 1960 ne sont pas épargnés et l’auteur va au bout de leur histoire sans oublier le Tibet qui s’embrase à nouveau en 2008 avec cet Everest où tout est balisé maintenant.
Dans Alpinistes de Mao, Cédric Gras a bien fait de sortir de l’oubli ces pionniers, même s’il reconnaît, modestement, e son enquête est imparfaite. Pour moi, elle fut tout simplement passionnante et très instructive.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/09/cedric-gras-alpinistes-de-mao.html
Je n’ai pas lu "Alpinistes de Staline" qui a précédé ce livre, mais peu importe, il s’agit d’une autre épopée même si elle parle aussi d’un pays communiste et totalitaire
L’auteur le dit lui-même, il a manqué de documents et de biographies pour écrire cette enquête sur les pionniers chinois de l’alpinisme et plus particulièrement l’ascension de l’Everest que les Chinois nomment le Qomolangma (alors que côté indien son nom est Sagarmatha !)
Jusqu’en 1960, ce sont les anglais Tenzing et Hillary qui sont les seuls à avoir atteint le sommet en 1953, mais c’était par la voie du côté népalais. Quant aux anglais Irvine et Mallaury disparus en 1924, rien ne prouve qu’ils aient atteint le sommet avant leur mort.
Le grand timonier rêve d’une conquête chinoise du plus haut sommet du monde, une première, c’est un projet insensé lorsqu’on sait que l’alpinisme est un sport méconnu en Chine. Mais qu’importe ! Avec l’aide des soviétiques, plus aguerris et expérimentés, les chinois balbutiants apprennent les bases de l’alpinisme. C’est un projet politique car Mao veut sa conquête du plus haut sommet du monde pour prouver sa suprématie sur le monde capitaliste. Pour plus de précautions, l’accès à l’Everest chinois est interdit aux étrangers.
« Ce sont les anglais qui ont appris à ce bas monde que l’Everest en était le toit. La rhétorique maoïste prétend, elle, que la cime était portée sur d’anciennes cartes chinoises tout en qualifiant les Britanniques de « bêtes incultes ». Il est vrai que les Tibétains connaissaient cette montagne depuis la nuit des temps. »
Il y aura plusieurs tentatives stoppées par le mauvais temps.
Le soulèvement du Tibet en 1959 va retarder et compliquer l’expédition. Elle sera réprimée violemment et fera des milliers de victimes. Quant au Dalaï-Lama, il réussira à fuir pour se réfugier en Inde.
Après moult difficultés, trois hommes, Qu Yinhua, Wang Fuzhou et le tibétain Gonpo atteindront le sommet du Qomolangma à 8848 m d’altitude dans la nuit du 24 au 25 mai 1960. Cette victoire, c’est la revanche de la chine communiste mais quel crédit donner à cette prouesse face au récit plein d’imprécisions des alpinistes et au manque crucial de preuves ? Le monde occidental doute, l’exploit semble trop beau car l’ascension s’est terminée de nuit, ce qui expliquerait l’absence de photo prouvant la véracité de l’exploit. Les conditions de survie à cette altitude sont difficiles. On appelle cela la « zone de mort » car le taux d’oxygène y est trois fois inférieur par rapport au taux au niveau de la mer. Il faut donc respirer avec des cartouches d’oxygène et chaque geste demande un effort colossal. Cette victoire ne sera jamais remise en cause par le pouvoir chinois qui prône l’exploit politique et l’amour de la patrie en ignorant la performance sportive qui prônerait l’individu au détriment du collectif.
En parallèle de cette conquête des sommets l’auteur nous initie à la politique maoïste et à ses excès. On pouvait être déporté dans les laogai, camps de rééducation par le travail, simplement pour une phrase malheureuse ou sur une dénonciation calomnieuse.
Après un début un peu fastidieux, ce récit m’a intriguée et passionnée car, au-delà d’une conquête des sommets, il s’agit bien de l’histoire d’un régime totalitaire qui a voulu faire de la conquête de l’Everest un triomphe politique. Malgré toutes ces zones d’ombre et le peu de documents à disposition, Cédric Gras réussit à reconstituer le destin de ces alpinistes de Mao.
Encore une histoire de dingues sous l’ère stalinienne ! Les alpinistes…
Et dire que toute cette politique dictatoriale russe, à notre insu, ne s’est jamais éteinte et s’enflamme à nouveau…
Un livre prenant pour tous ceux qui aiment la montagne, l’histoire de l’alpinisme et l’Histoire.
Rêver de l’Himalaya.
C’est Cédric Gras qui m’a fait rêver aussi. Quel journaliste et écrivain formidable !
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