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Une très belle plume sur le regard amoureux et cette invitation au voyage, cette évasion qui nous donne un aperçu d'une Amérique légère...
La création du bout du monde
Bruno Pellegrino, Aude Seigne et Daniel Vuataz ont uni leur force créative pour concevoir ce roman à six mains, l’histoire d’une commissaire d’exposition à la recherche de l’artiste dont elle prépare l’exposition et qui va être guidée par Liv, elle-même artiste, délinquante et farouchement décidée à s’émanciper.
Pour Zed et Liv, il est temps de quitter leur cabane pour rejoindre la voie ferrée. Car le train venant de la capitale est chargé de marchandises et c'est en le braquant qu'ils assurent leur subsistance, même s'ils n'ont aucune certitude quant aux marchandises transportées. Mais cette fois la chance leur sourit: huile, thon, maïs doux. Un butin qui pousse Liv à pénétrer dans un second wagon où se trouvent des produits frais, mais aussi une femme qui donne l'alerte.
Une rencontre aussi inattendue que perturbante. Si Zed réussit à fuir, Liv est arrêtée et conduite à Terre-des-Fins, ou plus familièrement Terdef, le petit nom de cette cité minière sur le déclin. «À Terdef, si tu bosses pas à la mine, si t'es pas policière ou disons mécano, t'as pas plus de raisons de rester que de te foutre en bas d'une montagne. Du coup ceux qui restent, je me demande toujours à quel moment ils ont décidé de pas partir.»
La voyageuse imprévue, qui n'a rien d'une clandestine, va s'avérer être la planche de salut de Liv, car elle vient préparer une grande exposition consacrée à un enfant du pays, le sculpteur Mitch Cadum. Comme Zed et Liv sont graffeurs quand ils n'attaquent pas les trains de marchandises. Ils ont déjà maintes fois côtoyé les œuvres de Mitch, à moins qu'ils ne décident d'égayer ces blocs de granit de leurs sprays. Aussi Sora, la mystérieuse voyageuse, accepte-t-elle de suivre Liv contre la promesse de pouvoir rencontrer Mitch. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que la voleuse a imaginé ce scénario, qu'elle entendait gagner du temps, ayant compris combien le grand artiste était important à ses yeux.
Le roman bascule alors dans le polar, mais aussi dans une quête des origines, un montage artistique, le combat d'une communauté pour ne pas disparaître et une histoire d'amour improbable.
Je me souviens aussi de la surprise qui avait été la mienne en découvrant la vraie fausse biographie de l’écrivaine suisse Esther Montandon imaginée par le groupe de l’AJAR qui avait réussi un formidable roman avec Vivre près des tilleuls.
Je me souviens aussi d'une rencontre à Aix-les-Bains. Bruno Pellegrino venait de recevoir un Prix littéraire avant de partir pour Rome où l'attendait une résidence d'écrivain. Durant la conversation, il avait évoqué cette expérience d'écriture à plusieurs. Je me suis alors dit que la Suisse romande était chanceuse de posséder un tel laboratoire d’innovations littéraires.
Avec Bruno Pellegrino, Aude Seigne et Daniel Vuataz confirment ici leur talent individuel et collectif. Ils ont imaginé ensemble une série littéraire intitulée Stand-by avant de répondre à l'invitation du Musée cantonal de design et d'arts appliqués contemporains de Lausanne, le Mudac et proposer ce roman à six mains si bien ficelé. En répondant fort bien au cahier des charges proposé, allier art et littérature pour accompagner la grande exposition qui s’ouvrira le 18 juin, mais surtout parce que l'œuvre littéraire brille par son originalité et sa facture. Ici impossible de découvrir qui a écrit quoi, tant le passage des différentes versions entre les mains des auteur sont permis de lisser le texte. Voilà trois auteurs à suivre, en solo ou en collectif !
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Road-trip amoureux en Amérique
C’est dans un nouveau voyage que nous entraîne Aude Seigne dans ce roman qui s’interroge aussi sur la possibilité d’un amour pour deux hommes en même temps. Le cœur ne serait-il pas un chasseur solitaire?
Quand la narratrice débarque à New York avec Emeric, son compagnon, le couple est déjà riche d’une belle expérience, la traversée de l’Atlantique en paquebot, étape préparatoire à leur grande traversée des Etats-Unis. Journaliste dans un magazine suisse de cinéma, le Star, elle a obtenu un congé sans solde de trois mois mais aussi un mandat pour rassembler du matériel qui servira à une numéro spécial sur le cinéma américain. Ainsi, tout en suivant Emeric, photographe animalier, elle profite du voyage pour rencontrer acteurs et réalisateurs, visiter des lieux emblématiques, réécrire l’histoire du septième art.
Mais dès les premiers pas dans la Grande pomme, elle se heurte à une réalité nourrie par la fiction. La ville qu’elle parcourt est-elle celle que son imaginaire a construit à partir des films et des séries ou bien faut-il tenter de se débarrasser de ces images pour découvrir le «vrai» New York? Une interrogation qui va servir en quelque sorte de fil rouge tout au long des étapes du voyage, des Appalaches à la Californie, en passant par les grands parcs nationaux, Chicago et le Nouveau-Mexique. Chaque étape, y compris les motels où l’on s’arrête pour une nuit ou encore le match de baseball auquel on ne comprend rien des règles, confronte fiction et réalité, images fantasmées et réalité intrinsèque.
La belle idée d’Aude Seigne consiste à doubler ce questionnement d’une seconde quête, introspective. Comme ces paysages, elle cherche constamment à savoir qui elle est vraiment, qu’elle image elle donne aux autres. Depuis la rencontre avec Emeric jusqu’à celle avec Henry, depuis leur premier voyage jusqu’à cette escapade américaine. Jusqu’où elle peut être elle-même. Car il y a Emeric, qu’elle aime depuis sept ans, mais il y a aussi Henry, le collègue qui la comprend si bien et dont le femme attend un enfant. Henry qui, avant Emeric, aura appris qu’elle avait choisi de ne pas garder l’enfant qu’elle portait, Henry qui la comprend si bien, même sans parler. Alors peut-être fait-il dire à Emeric ce qu’il en est vraiment, qu’elle les aime tous les deux, qu’elle n’a pas envie de choisir. Mais un tel aveu ne va-t-il pas faire voler en éclats leur relation? Et comment réagirait-elle s’il décidait de s’octroyer la même liberté?
Si, au fil du récit, le voyage intérieur prend davantage de place que la découverte, il ne cesse d’être rattrapé par la réalité. Comme l’écrivait Umberto Eco en parlant du roman «les références au monde réel s’y mêlent si bien. Cela donne alors lieu à certains phénomènes bien connus. Le premier consiste à projeter le monde fictionnel sur le réalité, autrement dit à croire en l'existence réelle de personnages et d'événements fictifs». Aude Seigne en apporte ici une belle illustration, y ajoutant même une dimension supplémentaire en ajoutant une longue playlist qui accompagnera la lecture d’un fond sonore qui est aussi un guide musical.
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C’était en 2018, à la Comédie du Livre de Montpellier. J’avais longuement échangé avec Aude Seigne à propos de "Vivre près des tilleuls" un roman de l’AJAR (Association des Jeunes Auteurs Romands) dont elle est membre. Elle m’avait dédicacé "Les Neiges de Damas" que j’avais beaucoup aimé. J’ai tout autant aimé "L’Amérique entre nous".
"L’Amérique ressemble d’abord à une ligne. Une discontinuité de points jaunes dans l’obscurité…On arrive en Amérique. Il me corrige en souriant : Aux Etats-Unis." Il, c’est Emeric, le compagnon de la narratrice dont on ne connaîtra pas le prénom. Il est reporter animalier, elle, journaliste au magazine STAR, entre people et cinéma. Ils ont décidé de ce voyage il y a six mois, ils ont décidé de prendre le temps et choisi le bateau. Deux événements survenus entre temps vont quelque peu modifier le sens ce "road-trip américain" rêvé.
C’est une histoire de voyage – géographique et intérieur à la fois – et d’amour – ou plutôt d’amourS – car Elle est amoureuse de deux hommes. La construction de ce roman est intéressante qui à la fois nous fait visiter l’Amérique et nous révèle la vie des héros tout au long des six mois qui ont précédé leur départ. L’Amérique, je ne la connais pas mais ce fut un plaisir de la découvrir à travers les mots de l’auteure qui parle de nature, décrit les paysages, les animaux et en même temps les mœurs, les actrices et acteurs qu’elle rencontre et interviewe.
Ce voyage est aussi l’occasion d’une introspection, d’une réflexion sur ses sentiments. Elle s’interroge sur sa relation avec Emeric qui date de quelques années, et de celle, beaucoup plus récente avec Henry. Elle les aime tous les deux et veut profiter du voyage pour en parler à Eymeric. C’est la question essentielle de l’amour unique – ou pas –, de ce qu’est un couple, de ce que l’un peut accepter de l’autre, une belle réflexion aussi sur la différence entre fiction et réalité.
Tout cela est porté par une très belle écriture, déliée, limpide et en même temps profonde. J’ai retrouvé dans ce roman toutes les qualités découvertes dans "Les neiges de Damas". Je ne peux m’empêcher, non plus, de dire le plaisir de la jolie couverture et du papier écru chers aux Editions Zoé.
Un vrai bonheur de lecture.
Roman éligible au Prix Orange du Livre 2022
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