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« Pauvres créatures » est donc le roman dont est tiré le film éponyme, actuellement en salles et que je n’ai pas (encore) vu.
Si j’ai bien compris, le film est l’adaptation de la partie principale du livre, à savoir la « création », vers 1880, de Bella par le chirurgien écossais Godwin Baxter, sorte de savant fou humaniste. Escamotant à la morgue le cadavre d’une jeune femme noyée enceinte de huit mois, il tente de la ramener à la vie en lui greffant le cerveau du bébé qu’elle porte.
Evidemment, la greffe fonctionne, et apparaît Bella, littéralement femme-enfant, spontanée et innocente, qui doit tout apprendre à partir de son cerveau neuf et vierge de tout préjugé et tout complexe, mais aussi de tout code moral et social.
Evidemment, Godwin se garde bien de révéler le secret de ses origines à Bella et au reste du monde. Seul son ami McCandless, également médecin, est au courant.
Evidemment, McCandless (Chandelle, pour les intimes) tombe amoureux fou de Bella au premier regard et lui propose aussitôt le mariage.
Bien sûr, Bella, qui à ce moment a le cerveau d’un enfant de douze ans, accepte, à la condition de pouvoir s’enfuir d’abord quelques mois au bras de son amant, le coureur de jupons Wedderburn, pour qu’il lui apprenne la vie.
Mais le livre ne se limite pas à cette histoire. L’auteur s’est amusé à y imbriquer une lettre de Wedderburn à Godwin dans laquelle il se plaint de l’appétit sexuel vorace de Bella, et une lettre de Bella au même Godwin dans laquelle elle se plaint de ce pleurnichard de Wedderburn. Puis le récit se poursuit avec le retour de Bella à Glasgow auprès de son « géniteur », mais ses projets de mariage avec Chandelle pourraient bien se voir contrecarrés par les réminiscences de la vie antérieure de Bella.
L’auteur veut nous faire croire que toute cette histoire est racontée par McCandless dans un livre publié à compte d’auteur, qui aurait été retrouvé dans une poubelle un siècle plus tard. Alasdair Gray se joue encore du lecteur en prétendant que ce livre était accompagné d’une lettre de Bella à ses descendants, dans laquelle elle livre sa propre version de l’histoire, qui contredit fâcheusement celle de son pauvre Chandelle.
Dans ce pastiche de roman gothique victorien, il y a du Frankenstein et du Pygmalion, et d’autres références que je n’ai pas. Gray utilise tous les subterfuges pour étayer la version de McCandless, fantaisiste et fantastique, mais, malicieux, il laisse le choix au lecteur d’opter pour celle de Bella, plus terre à terre et qui se moque de son mari doux-dingue et insipide.
Quoi qu’il en soit, il s’agit dans les deux cas d’émancipation féminine dans un monde patriarcal étriqué, qui n’hésitait pas à enfermer à l’asile les insensées qui osaient sortir du rang et/ou à pratiquer sur elles des clitoridectomies pour calmer leur « hystérie ». Il est aussi question de justice sociale et de socialisme, et des horreurs commises au nom de l’impérialisme britannique.
Pour ma part, dans ce livre composite et ludique, j’ai préféré la partie prétendument attribuée à McCandless, divertissante et jouissive, qui brocarde les hommes et offre un portrait pétillant de femme libre et moderne dans une société qui n’est pas prête pour cela. Pour le reste, j’ai trouvé que cela manquait de souffle et se traînait en longueur dans les réflexions révolutionnaires un peu farfelues de Bella et dans les fastidieuses « notes critiques et historiques » de Gray lui-même, qui embrouillent parfois la lecture.
Cela dit, l’écriture est agréable et finalement assez fluide, et cette composition exubérante et originale est un tour de force de création littéraire.
En partenariat avec les Editions Métailié.
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