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« De Bérénice, on ne sait presque plus, aujourd'hui, que ce que Racine en raconta. Or l'histoire de cette princesse juive s'avère encore plus romanesque, voire plus tragique, que l'oeuvre du tragédien : arrière-petite-fille de l'Hérode qui massacra les Innocents, petite-nièce de celui qui laissa tuer le Christ, épouse de son oncle et maîtresse de son frère, ne fût-ce que par sa famille Bérénice était vouée à la plus en vue des scènes. Par cette lourde origine, d'emblée elle fut aussi tiraillée entre Juifs et Romains, au moment des sanglantes révoltes qui aboutirent à la ruine de Jérusalem. Ce fut Titus lui-même, son amant à venir, aux yeux des siens à jamais faisant d'elle une traîtresse, qui incendia le Temple ; l'amour du jeune guerrier et de la reine, de treize ans plus âgée, dès l'abord eut l'éclat d'un bûcher.
Ce qui suivit fut à la hauteur : un voyage en Egypte, où se hissant au rang des dieux de ce pays, Titus sacra le taureau incarnant sur la terre Apis ; un débarquement près de Pompéi, sur les traces de cet apôtre Paul dont les prêches avaient tant marqué Bérénice ; puis une année à Rome, où Vespasien, père de Titus, en prenant le titre d'empereur avait fait de son fils l'héritier de l'Empire. Celui-ci n'en promettait pas moins à sa reine juive de l'épouser - mais les pressions du peuple, et de son père, finirent par l'en dissuader.
Bérénice fut répudiée, et s'en retourna vers sa patrie qu'elle avait si souverainement reniée. Elle y demeura, et peut-être y pleura, plusieurs années durant ; mais aussitôt eut-elle appris la mort de Vespasien, et l'accès de son fils au pouvoir, qu'elle accourut à Rome, sûre d'y retrouver son amant enfin libre. Titus ne daigna pas seulement la voir. De Bérénice, on ne sait plus alors rien - sinon qu'elle mourut l'année même de cette trahison ; l'année, pareillement, de l'éruption du Vésuve, qui anéantit Pompéi.
Le règne de Titus, en effet, ne fut qu'une suite de catastrophes, considérées par les Juifs comme le prix de ses saccages. Le jeune empereur, il est vrai, par sa mansuétude, semblait avoir quelque chose à racheter. Mais à sa mort, après seulement deux ans de règne, alors qu'il venait d'entrer dans la quarantaine, deux ans à peine après la mort de sa maîtresse, ne fut-ce pas à elle qu'il pensa, au coup fatal qu'il lui avait porté, lorsqu'en son dernier soupir, il dit avoir sur la conscience un crime qu'il ne pourrait jamais se pardonner ?
Tels sont les faits. La fiction n'eut qu'à les polir, de-ci de-là, simplement pour mieux faire sentir à quel point ils étaient vrais. La plume n'eut qu'à glisser, comme sous les doigts d'un scribe égyptien, pour que se réveillent les passions, les souffrances, et les joies. Sur le récit, souvent l'émotion prit le pas ; et plutôt qu'une tragédie, ou un roman, sur les cendres de ce volcan, ce fut un chant qui s'éleva. »
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