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«On entend souvent dire, à propos de Chevillard, qu'il est brillant, mais qu'on ne voit pas où il veut en venir. Qu'on lise alors l'article « littérature », où s'affirme l'évidence de l'écriture par le retournement de la question traditionnellement faite aux«On entend souvent dire, à propos de Chevillard, qu'il est brillant, mais qu'on ne voit pas où il veut en venir. Qu'on lise alors l'article « littérature », où s'affirme l'évidence de l'écriture par le retournement de la question traditionnellement faite aux écrivains : « Et vous, pourquoi n'écrivezvous pas ? » Des remarques prolongeant « l'auteur et moi », qu'on mettra utilement en parallèle avec son activité de critique et de blogueur. On comprendra aussi l'intérêt passionné de nombre de chercheurs et d'universitaires de haut vol.» (A.Nicolas, L'Humanité) «Éric Chevillard publie un journal dont le sixième volume vient de paraître sous un titre, L'Autofictif en vie sous les décombres, qu'on ne qualifiera pas de racoleur. Avec le flair et le courage d'un chien spécialisé dans le secours après les catastrophes telluriques, j'y suis allé voir. Non seulement le diariste est en vie, mais, dans une santé resplendissante, il pète le feu. Il s'amuse, il ironise, il philosophe, il observe, il note, il se revanche, il apophtegme, il haïkuse, il poétise, il chevillarde. Tout cela dans des textes courts, écrits avec une élégance, une clarté, une économie qui relèvent du classicisme le mieux maîtrisé et le plus séduisant.Éric Chevillard est un moraliste impitoyable comme le sont tous les bons moralistes. Mais on ne dira pas que c'est un méchant homme, car, à sa prose souvent assassine, il mêle les réflexions charmantes de ses deux fillettes, Suzie et Agathe.» (Bernard Pivot, le J.D.D.)
C'est typiquement le genre de livre qu'on ouvre, referme et ré-ouvre de temps en temps ou régulièrement. Je l'avais un peu oublié depuis quatre ou cinq mois lorsque je l'ai retrouvé au fur et à mesure que je réduisais la pile de livres sur ma table de chevet. Ah chouette, me suis-je dit. Et là, je me suis aperçu que j'en avais lu la moitié, et annoté une grande partie. J'ai repris où je m'étais arrêté, tranquillement.
Éric Chevillard, c'est d'abord une belle écriture mais aussi un esprit un rien barré. Dans son Autofictif, il est drôle, méchant gratuitement -ça c'est pour les gens qu'il n'aime pas mais que j'aime bien-, méchant et bien vu -ça c'est pour les gens qu'on n'aime ni lui ni moi-, agaçant, philosophique, anecdotique, poétique, familial, pas terrible, vachement bien, absurde, ubuesque, littéraire, exigeant, facile, vain, utile, vache, ... Du Chevillard quoi. Très doué, qui ne peut laisser indifférent, parfois imbu, sûr de sa qualité et élitiste, ce qui peut parfois ressembler à une posture. En quelques occasions, il me fait penser à Desproges, cet élitisme et cette méchanceté drôle, lui qui, par exemple pleurait "comme un môme" à la mort de Brassens "Alors que -c'est curieux-, le jour de la mort de Tino Rossi [il reprenait] deux fois des moules."
Le mieux est de finir avec quelques extraits parmi les très nombreux que j'ai relevés, tiens, le premier je le garde sous la main au cas où j'ouvrirais un livre vraiment mauvais :
"Il a certes consacré deux ans à l'écriture de ce livre. Mais la bouse aussi est le produit d'une longue et lente rumination" (p.148)
"Pris d'une audace inhabituelle, j'osai cette fois aborder la jeune femme sublime qui passait dans la rue : "- Si vous saviez, Mademoiselle, comme vous seriez plus charmante encore si vous n'étiez pas lestée comiquement de ce pignouf un peu gras pendu à votre bras." Or, à mon grand étonnement, ce conseil de beauté désintéressé, offert sans autre espoir de récompense qu'un baiser appuyé et un doigt dans le cul, ne fut pas reçu avec la reconnaissance que j'étais en droit d'attendre et je me retrouvai sans bien comprendre comment allongé sur le trottoir avec la lèvre fendue." (p.11)
"Ce qu'il ne faut pas faire pour avoir la chance d'étreindre de belles femmes lorsqu'on est affligé d'un physique ingrat ! Je connais au moins deux types dans ce cas qui n'ont pas eu d'autre choix que d'accéder à la fonction suprême de Président d'une république que je préfère ne pas nommer par respect pour la vie privée de sa population." (p.87)
Et pour finir en beauté et intelligence, voici sans doute deux de mes préférées concernant deux grands pour qui j'ai une admiration profonde :
"La musique porte des émotions simples, l'exaltation, la mélancolie, la douleur, la colère, la joie - mais une musique perplexe ? une musique ironique ? une musique au second degré ? C'est la grande originalité de Satie : alors que les écrivains se flattent tous d'écrire des pages musicales, il est l'inventeur d'une musique que l'on peut sans abus qualifier de littéraire." (p.119)
"Quant au noir de Pierre Soulages, Sétois lui-même (on se comprend), voici le rideau tombé enfin sur la débauche des formes et l'orgie des couleurs -nous jouissons du calme revenu dans le musée éteint, et pourtant il ne s'agit nullement d'un retour à la niaise candeur de la toile blanche : cette nuit est hantée par les scènes et les figures de tous les tableaux qui nous reviennent avec la précision du rêve (ou du cauchemar)" (p.119/120)
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