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Dans des chapitres brefs et des phrases courtes la narratrice, Emma relate ses souvenirs d’enfance passés dans un presbytère.
Souvenirs croisés avec la réalité des parents et grands parents vieillissants.
La famille d’Emma est une famille pastorale : le grand père, le père, la mère et Nicolaas son frère va dans quelques jours faire son ordination pour à son tour devenir prêtre.
Famille joyeuse où les femmes sont les piliers, où les silences montrent qu’ils sont bien ensemble, où les différentes générations ont des gestes tendres les uns envers les autres.
« Je pourrais dire que je tiens à eux comme à la prunelle de mes yeux. Je pourrais dire aussi qu’ils sont les pommes de mon regard » page 173
Par moment le néerlandais apparaît dans le texte mais toujours en comparaison avec le français, ça rajoute un peu de fantaisie.
En français ils perdent la tête. Le néerlandais ils perdent le chemin. Page 27
Le français dit un pense bête. Le néerlandais dit un appui mémoire. page 57
Le français dit qu’un ange passe. Le néerlandais dit qu’un pasteur se promène. page 162
« … un pasteur, ça sert à garder les histoires vivantes. Nicolaas, c’est déjà bien, raconter les histoires » page 170
Livre en lice pour le prix France Inter 2024 et le prix Francoise Sagan 2024
En néerlandais, l’expression traduite littéralement par « ils appartiennent au jour » signifie en réalité « ils ne tiennent qu’à un fil. » Dans un récit illuminé par la délicatesse du coeur, une narratrice que l’on devine proche de l’auteur rassemble les bouts effilochés de la mémoire familiale et tisse le touchant canevas de son amour filial.
De retour chez les siens en Alsace après plus d’un an d’absence, une jeune femme réalise combien le temps laisse ses marques en fuyant. Pendant que rouille et végétation en profitaient pour resserrer leur prise sur le vieux presbytère où sa mère continue seule d’officier comme pasteur, les hommes de la famille ont « perdu le chemin » – en français, on dirait qu’ils ont perdu la tête. Pasteurs de pères en fils, autrefois aux Pays-Bas, mais depuis une génération en France, ils laissent désormais « passer les anges », le grand-père égaré dans les absences de sa mémoire de vieil homme, le père perdu dans la béance du burn-out et le fils paumé dans le doute à la veille de son ordination. Comment garder l’« envie de faire un métier qui n’existe plus » ? Dans leur brouillard ne restent que les femmes, Oma et Mama, pour leur tenir lieu de veilleuses : assurer les gestes du quotidien, mettre un nom sur les choses et des post-it sur le calendrier, agrémenter les jours de quelque douceur.
Tout semble évanescent dans cette narration qui tente de fixer la mémoire au moment où elle s’efface. Scènes et tableaux s’enchaînent comme autant de fragments de vie capturés par une caméra, sans commentaire ni analyse, juste épinglés avant qu’ils ne se perdent dans l’écoulement du temps. D’autant plus touchante que soigneusement tenue à distance, l’émotion s’infiltre au détour d’un détail, sitôt évoqué, sitôt abandonné, comme si ne comptait que la collecte éperdue de ces instants de réel, dans la conscience aiguë d’une fin imminente. En résulte une composition tout en variations et nuances, accentuées par les subtilités d’expression entre français et néerlandais qui, soulignées avec poésie tout au long du roman, ajoutent aussi à la sensation déchirante d’un tiraillement entre attachement et distanciation. Prunelles de ses yeux ou « pommes de son regard », cette étudiante qui repartira dans quelques jours aux Pays-Bas mesure tout ce que ses proches représentent qu’elle laissera derrière elle, promis à la désintégration si ce n’est dans ses souvenirs. Alors, faisant fi de sa tristesse et de sa mélancolie, dans ce naufrage elle choisit de ne retenir que l’écume du bonheur, les instants de joie et d’affection, taisant la douleur pour ne voir que le merveilleux.
Lumineux et touchant, un premier roman plein de grâce sur la filiation et sur ce que l’avenir doit au passé pour se construire. Il n’ y a pas plus solide fondation que l’amour des siens… Coup de coeur.
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