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Présentation des six romans finalistes du Prix Orange du Livre en Afrique 2020

La présidente du jury revient sur chaque livre

Présentation des six romans finalistes du Prix Orange du Livre en Afrique 2020

Véronique Tadjo, poète, romancière et universitaire, est aussi la présidente du Prix Orange du Livre en Afrique 2020. A ce titre, elle revient sur les 6 romans finalistes sélectionnés par les comités de lecture.

 

Les six romans finalistes du Prix Orange du Livre en Afrique 2020 ont en commun d’avoir tous été originellement publiés par des éditeurs africains. Les histoires ont donc pris racine dans le terreau fertile du continent. Et c’est ici que se trouve l’originalité de la démarche de ce Prix. Faire découvrir un pan d’une réalité complexe vécue ou imaginée par des auteurs qui vivent l’Afrique de très près. Ce qui est frappant, c’est qu’il y a aussi beaucoup de mouvement dans les intrigues, l‘écriture se nourrissant de l’intérieur comme de l’extérieur, dans un va et vient entre  l’ici et l’ailleurs.  Une vision  du continent qui va de l’Afrique du Nord à l’Afrique subsaharienne, d’une génération à l’autre. 

 

L’interaction entre Lettres, société et politique a toujours été la marque de la création littéraire, orale ou écrite. Les peuples y consignent leurs valeurs et tissent un imaginaire collectif qui se construit au fil du temps. La littérature s’inscrit ainsi dans l’histoire en lui donnant un nouvel éclairage.  Pont qui aide à combler les distances et rassembler les Hommes. Toute littérature a besoin de rencontrer ses lecteurs. Sa vitalité  vient donc de  l’édition, mais aussi de l’économie du marché local, ainsi que de la presse, de la radio et des réseaux sociaux qui servent de relai. C’est la chaîne du livre qui donne finalement vie à un texte.  En apportant plus de visibilité aux romans finalistes et au texte primé, le Prix Orange du Livre en Afrique participe à la création de conditions favorables à la promotion de la littérature du continent.

Dans ce sens,  le développement d’une culture de la lecture fera émerger des possibilités de développement beaucoup plus grandes. L’édition du livre de littérature générale, par opposition au livre scolaire,  n’a pas encore atteint tout son potentiel en Afrique. De beaux jours l’attendent si  éditeurs et écrivains produisent ensemble une littérature de qualité, diverse et répondant aux attentes des lecteurs de plus en plus exigeants.

 

Vingt-huit maisons d’édition basées dans quatorze pays différents d’Afrique francophone ont répondu à l’appel du Prix Orange du Livre en Afrique. Six comités de lecture basés en Guinée, en Tunisie, au Mali, au Cameroun, au Sénégal et en Côte d’Ivoire ont lu les livres et donné chacun leurs préférences.

Au cours d’une réunion qui s’est tenue à Paris en février dernier, les représentants des comités ont sélectionné les six romans suivants :

 

 

Mostefa HARKAT, Le retour au Moyen Age, Editions AFAQ (Algérie) 

 

Dans ce livre qui adopte le genre du conte philosophique avec de courts chapitres, l’auteur tisse le récit d’une époque où l’obscurantisme a menacé de détruire un peuple, sa culture et son identité. Le moyen-âge, pour l’auteur symbolise le refus du progrès et le règne de l’oppression, aussi bien physique que morale. Ecraser une partie de la population, lui bloquer l’accès aux idées venant de  l’extérieur, tel était le dessin funeste des oppresseurs. Pour mieux emprisonner les habitants, une barrière artificielle est dressée (le mur du Temps) afin de cacher une cité secrète où existe la possibilité d’une meilleure vie.  Cependant, le savoir ne peut être contenu éternellement : « Je savais aussi  que [dit le narrateur] le temps est immatériel, linéaire, à un seul sens, et qu’on e peut ni le toucher, ni le modifier, ni lui ordonner de revenir alors qu’il vient de partir. Mais un mur en pierre, on peut se cogner contre lui, l’abattre, le construire. » (P.16)

L’évolution du narrateur, que l’on découvre au début à l’âge de cinq ans et qui arrive à l’âge adulte à la fin du roman, illustre le sort des peuples dont la prise de conscience passe souvent par plusieurs étapes.

 Mostefa Harkat est né en Algérie. Mathématicien et linguiste de formation, professeur d’université, il est l’auteur d’ouvrages scientifiques mais aussi de cinq romans écrits en français et en arabe.

 

 

 

Abdellah BAÏDA, Testament d'un livre, Editions Marsam (Maroc)

  Testament d'un livre

On entend souvent parler de la mort du livre, cet objet en papier, menacé par l’internet et le rythme effréné de la vie moderne. Les écrans sont partout, plus personne ne lit se lamente-t-on. Il n’est pas surprenant donc qu’un livre prenne la parole pour faire son testament. Il s’agit là du tour de force de l’auteur qui fait parler un livre poussiéreux qui se morfond sur l’un des rayons de la vieille et grande bibliothèque d’Al-Quaraouiyine de l’Université de Fès où il est enfermé et abandonné sans contact extérieur.

Sentant venir sa mort par manque de lecteurs, il raconte sa vie et toutes les péripéties qui l’ont caractérisée. Joies et malheurs. Amours et crimes passionnels. Parfois brûlé, parfois adulé au cours des âges, « Le livre n’oublie rien, il garde tout en silence. » (P.20) Dans son désir de ne pas mourir en vain, le livre-narrateur va jusqu’à dicter des lignes éditoriales dans son testament, « Les pays francophones doivent soutenir les publications en langue française. Et les Etats du Golf ont tout intérêt à aider les livres de langue arabe. » (P.93) Roman à la fois polyphonique et historique, Testament d'un livre, est aussi empreint d’humour et de joie de vivre.

 Abdellah Baïda, romancier, nouvelliste et essayiste marocain, a publié, entre autres, Les Voix de Khaïr-Eddine (essai, 2007), Au fil des livres, chroniques de littérature marocaine de langue française (essai, 2011), Le dernier salto (roman, 2016)

 

Ndèye Fatou Fall DIENG, Ces moments-là, L'Harmattan Sénégal (Sénégal)

  Testament d'un livre

Alia et Rafael, les jeunes protagonistes de l’histoire, sont liés par une amitié amoureuse. Pendant leurs études à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis, période heureuse et pleine d’insouciance, leurs sentiments vont devenir de plus en plus profonds. Tout le long du récit, l’auteure donne la parole alternativement à Alia et Rafael  sans que jamais l’une ne prenne le dessus sur l’autre.

Ainsi, les lecteurs découvrent deux histoires parallèles, deux points de vue sur la vie. Chaque vignette commence par une citation qui donne le ton de la prise de parole des personnages. Mais l’épidémie qui va s’abattre sur le Sénégal avec son lot d’horreur et de souffrance va finalement les séparer. La question qu’Allia se pose « Vous est-il déjà arrivé, à la survenue d’une catastrophe, de vous demander quand les choses ont basculé, s’il n’y avait pas eu un signe, même infime, qui aurait annoncé la catastrophe, un mauvais pressentiment au réveil, un ciel plus sombre, un rêve flou, un cauchemar inachevé ?» (P.86)  est un mystère impossible à élucider. Loin l’un de l’autre, les chemins des deux personnages vont prendre des directions très différentes. Si les années se succèdent à un rythme rapide qui aurait pu leur faire oublier le passé,  malgré la distance, le souvenir de la promesse qu’ils s’étaient donnée dix ans auparavant, va s’avérer plus forte que toutes les prédictions.

 Ndèye Fatou Fall Dieng est titulaire d’un master 2 en droit privé de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis au Sénégal. Elle est juriste d’entreprise et passionnée de lecture, de poésie et de science.

 

Youssouf Amine ELALAMY, C'est beau, la guerre, Editions Le Fennec (Maroc)

  C'est beu la guerre

Le narrateur du récit nous entraîne au cœur d’une guerre cruelle, où la terreur règne et l’espoir n’existe plus. Qu’importe le nom de ce pays maudit des dieux, on le reconnaît aisément. Tous les conflits de la planète se ressemblent lorsqu’ils sont couverts par les médias du monde entier : images de bombardement, soldats et civils entraînés dans une mort aveugle. Souffrance sans visage qui a cessé d’ébranler l’indifférence de ceux qui regardent encore une autre tragédie incompréhensible se dérouler sous leurs yeux.

En redonnant une âme, une vie, une histoire aux ombres anonymes qui peuplent l’actualité, la narration apporte une dimension humaine à la tragédie. Qui ne quitterait pas son pays sous les bombes ? Ceux qui peuvent partir, partent. C’est l’Exodus de ces êtres devenus apatrides, de ces survivants qui ont tout perdu que le narrateur nous raconte avec émotion. Comédien, il a appris à se mettre dans la peau des autres, à respirer leurs joies et leurs peines. Grâce à son art, il retrouve une raison de vivre en se jetant corps et âme dans un travail de mémoire, véritable hommage aux morts. « Nous voulions tant que ces âmes puissent garder leurs plumes pour voler et revenir un jour nous caresser le cœur. Elles seraient là, voletant dans le ciel, à attendre la nuit pour nous visiter. Je pourrais enfin les revoir, mes bien-aimés, dans leurs habits tout blancs, étincelants, et sans la moindre grimace, la moindre tache de sang. » (P.19)

Ecrivain et artiste marocain, Youssouf Amine Elalamy est l’auteur de plusieurs romans. Il publie en 2005 Tqarqib Ennab, un livre en Darija (arabe marocain) et obtient en 1999, le Prix du meilleur récit de voyage décerné par le British Council International pour ses écrits en anglais. Ses œuvres sont traduites dans plusieurs langues.

 

 

 

Ahmed MAHFOUDH, Les jalousies de la rue Andalouse, Arabesques éditions (Tunisie)

  Les Jalousies de la rue Andalouse

Le livre s’ouvre sur une enquête policière autour de la mort suspecte d’un avocat à la personnalité controversée. Suicide ou meurtre ? Le journal intime du disparu dévoile ses secrets au fil de la narration.

Nous sommes au début des années quatre-vingt à Tunis et l’intrigue commence au sein d’une grande famille d’origine andalouse dans laquelle Aziz alias Azouz Bramli, issu d’un milieu provincial et modeste vient s’installer après son baccalauréat. Il est désespérément épris de la fille de la maison qui ne lui prête aucune attention. Au fil du temps, Aziz se forge une personnalité cynique et arriviste alors que plusieurs courants politiques s’affrontent dans un pays en pleine transformation. Frustré d’occuper une place de subalterne dans la société, il finit par chercher à se venger d’un milieu bourgeois dans lequel il n’a pas sa place. « Je leur montrerai, moi, que le nom n’est plus rien de nos jours et que l’argent est tout. » (P.153)

Secrets, manigances et ambitions démesurées jalonnent la vie d’un homme à la grande intelligence mais prêt à toutes les extrêmes pour gravir les échelons de la société. Au point de se perdre lui-même.

 Romancier, Ahmed Mahfoudh est également chercheur en littératures francophones et journaliste spécialisé dans les rubriques littéraires. Son précédent roman Le Chant des ruelles obscures (Arabesques 2017) a obtenu le prix spécial du jury Comar.

 

 

Paul-Marie TRAORE, Jeu de dames, Editions Tombouctou (Mali)

  Jeu de dames

La politique est un sujet de fascination. Le romancier nous jette dans l’arène en nous faisant vivre la rivalité féroce entre deux hommes, Hamdoul et Hammil, au cours d’une élection locale dans une petite communauté malienne. « La lutte s’annonçait donc âpre, impitoyable, voire cruelle ; la politique reste le terrain où les intérêts ne s’encombrent pas de sentiments affectifs. Tous les acteurs concurrents sont des pions à éliminer, les amitiés et fraternités sont conditionnées aux alliances consenties, à la servitude volontaire vouée. » (P.22)

Cependant, le récit ne se trouve pas là. Derrière ces deux hommes, les lecteurs découvrent deux femmes de tête qui les soutiennent chacun. La vieille Korian, tante au passé tumultueux, veut, coûte que coûte, obtenir le succès de son neveu pour l’honneur de la famille. Quant à Hawoye, sage-femme de formation, elle souhaite voir son mari réussir parce qu’elle croit que le pouvoir lui revient. Leurs destins entrent aussi en collision. Mais c’est la vieille Korian qui s’impose graduellement comme le personnage principal de l’intrigue. C’est elle qui influence le cours des événements en déclenchant une série de catastrophes aux conséquences irréparables.

 Paul-Marie Traoré, écrivain malien, est poète et romancier. Il a publié, aux éditions Tombouctou, Pour un adultère (2012) et Les fils Kabendy (2016, lauréat Prix Massa Makan Diabaté 2017 et du Prix Ahmed Baba 2018).

 

Le 2 juin 2020, après des délibérations finales à distance,  les membres du jury annonceront le lauréat 2020 du Prix Orange du Livre en Afrique.  En ces temps de crise profonde pour tous, il n’a jamais été aussi important de relancer  la joie de lire.

 

(c) Véronique Tadjo

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