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Nous mettons donc régulièrement en avant vos avis éclairés sur des romans de jeunes auteurs, de jeunes maisons d'édition ou moins connues.
Cette semaine, nous avons le plaisir de partager avec vous l'avis de Ghislaine Degache sur le livre Le psychanalyste de Brazzaville de Dibakana Mankessi paru aux éditions Les Lettres Mouchetées, lauréat du Prix Orange du Livre en Afrique 2024, qui donne très envie de lire cet ouvrage ...
L'avis de Ghislaine Degache sur le livre Le psychanalyste de Brazzaville de Dibakana Mankessi (Ed. Les Lettres Mouchetées), lauréat du Prix Orange du Livre en Afrique 2024
"Le psychanalyste de Brazzaville, troisième roman de l’écrivain et sociologue congolais Dibakana Mankessi peut s’apparenter à une revisite de l’Histoire du Congo-Brazzaville des années 60, juste après son indépendance.
Plusieurs personnages vont permettre cette relecture historique, et ce, de manière très attractive.
La figure centrale est le Docteur Kaya. Après s’être formé à la psychanalyse il a ouvert l’unique cabinet freudien de Brazzaville où il accueille sur son divan la quasi totalité de l’élite, des hommes, des femmes, des Européens et des intellectuels congolais.
Son activité attire déjà bien des regards mais elle sera encore davantage scrutée après l’assassinat d’un de ses patients, le procureur Lazare Matsocota…
Il consigne dans son journal les comptes rendus de ses consultations. Ses notes sont de véritables outils d’analyse permettant de mieux comprendre ces personnalités qui ont marqué le pays.
En parallèle, une autre figure clé, au cœur du roman est la jeune Loba Massolo. La destinée de cette étudiante en droit va être bouleversée par le tumulte de l’actualité du pays. Elle se voit contrainte de s’engager comme femme de ménage auprès du Docteur Kaya, sans révéler son origine.
Devenue vulnérable, sa famille ayant été proche du régime déchu, elle subit un véritable déclassement social. Elle a une vie absolument digne d’un roman et l’auteur ne s’y est pas trompé puisqu’elle va lui servir à raconter l’histoire. En effet, que ce soit son frère Yazolé, ou son premier amour Ibogo, ou encore Koussou ou le commandant Oba, tous ces êtres proches de Massolo prendront non seulement, à un moment ou à un autre, une part importante dans sa vie familiale et personnelle mais aussi une part active dans la vie de la ville et du pays. Je me suis vite attachée à chacun, déçue parfois par leur choix mais à chaque fois émue et bouleversée par leur sort.
Avec Masolo, c’est la condition féminine, les rapports de pouvoir, de soumission qui sont mis en évidence, avec le règne du patriarcat. Quant à son amie Kama, son histoire ne peut que nous révulser, nous faire horreur.
Intercalant le journal du psychanalyste avec l’intrigue, Dibakana Mankessi aborde d’abord la fin du régime de l’abbé Fulbert Youlou, premier président de la République congolaise. Les descriptions qu’il fait des Trois Glorieuses, ces trois journées de manifestations populaires qui ont précédé son renversement le 15 août 1963 sont absolument saisissantes de vie et de réalité. On a vraiment l’impression d’y assister.
C’est ensuite, surtout le règne de son successeur Massamba Débat, que l’écrivain s’attache à nous conter en brossant les portraits des patients du Docteur Koya, un mélange de personnalités réelles et de personnalités fictives.
Parmi les réelles, Christian Jayle, l’un des premiers patients européens du psychanalyste. Accusé d’avoir collaboré avec les nazis, il avait quitté l’hexagone pour se réfugier au Congo où il s’est bien vite relancé en politique…
Figure aussi Lazare Matsocota, nommé Procureur de la république au début des années 60 qui sera enlevé et assassiné. Autre personnalité à venir en consultation, l’archevêque de Brazzaville Théophile Mbemba ! Une séance spéciale tout de même puisque le prélat n’hésite pas à comparer confession et cure analytique, confessionnal et divan, s’empressant de faire remarquer au thérapeute qu’avec la confession, il apportait, lui, une autre dimension !
D’autres patients défilent dans le cabinet et parlent : Gérard Soete, impliqué indirectement dans l’assassinat de Lumumba, que le Docteur trouve trop arrogant, trop frimeur, trop raciste et Roger Lelièvre, architecte, Résistant de la France libre, envoyé par le général de Gaulle au service des travaux publics de Brazzaville, la « case de Gaulle » actuelle résidence de l'ambassadeur de France après l'indépendance du Congo, sera la première réalisation d'une longue liste qui fera de Brazzaville une ville moderne.
J’ai beaucoup apprécié la subtilité, la patience, l’art déployé par le Docteur Kaya pour amener ses patients à parler. Le cadre dans lequel ont lieu les consultations est quant à lui savamment étudié.
L’humour est là également pour montrer à la fois la nouveauté et l’incompréhension de la société devant cette nouvelle spécialité qu’est la psychanalyse. La scène dans laquelle le Docteur Kaya, suite à la convocation de la police politique, est reçu par un capitaine pour en savoir plus sur son activité est hilarante : « vous êtes pis’ka… p’sca… pichiko, … »
Dibakana Mankessi explore avec un immense talent la construction des consciences individuelles et collectives entremêlant savamment fiction et réel.
Le psychanalyste de Brazzaville est un roman historique fabuleux, richement documenté, et en même temps un vrai polar aux rebondissements innombrables. Un roman tout à fait original !..."
Merci Ghislaine Degache !
Pour retrouver d'autres avis sur ce livre, c'est ici : Le psychanalyste de Brazzaville
Une bonne chronique ,qui tente de découvrir se roman original
Bonjour, merci beaucoup pour cette chronique c'est un roman que j'adorerais découvrir !